Asap, brainstorm, newsletter, database et autres benchmark sont aujourd’hui des mots inclus dans le vocabulaire de tout webmarketeur. Et même de tout marketeux tout court, et même du commun en France… sauf peut-être de ma grand-mère.
Pourquoi pas. Ca se justifie parfois, les américains ayant beaucoup théoriser le marketing. Le terme lui-même est anglais et rares sont ceux utilisant le mot mercatique signifiant la même chose… mais dans le numérique, on bat souvent des records d’anglicismes stupides ou absurdes.
Au risque de passer pour un réac’ fan de Jacques Toubon, cet article va critiquer les anglophiles de tout poil.
Je sais que je risque de sombrer dans l’antiaméricanisme primaire, donc je réitère mon amour pour ce pays de capitalistes obèses en préambule… ah.
Francisation tardive
OK le français c’est plus dur que l’anglais. Puis il faut commencer par le reconnaitre : loi Toubon ou pas, on est toujours à la bourre pour la traduction des mots venus du digital. Ce qui donne des expressions désuètes avant même d’exister comme mots-dièses, infolettres ou courriels.
Jacques Toubon, l’homme qui doit vous faire préférer le français. Ou pas.
D’ailleurs, « digital » était ici un abus de langage : en français il s’agit bien de numérique. Digital, c’est la dénomination anglophone qu’on utilise tous, mais qui se traduirait par « avec les doigts ». Difficile de s’en dépêtrer.
Peut-être faudrait il s’inspirer de nos amis québécois qui francisent tout à l’excès, mais placent une tonne de mots anglais au milieu de leur phrases en français ?
Quebécois : « Je n’ai pas reçu ton courriel concernant ce meeting ! »
Français métropolitain : « Je n’ai pas reçu ton email concernant cette réunion. »
… Mouais. Pas convaincant et bêtement dogmatique. Surtout quand on sait qu’email est dérivé de mail, dérivé de male, mahla… en vieux francique.
Définitivement, on va éviter le québécois. Lapin compris !
Ridicule doesn’t kill
J’ai déjà fait lire mes propals présentations à des personnes extérieures : reach, update, SEO, community management, clusters, kick-off, post-view, growth hacking… bref : c’est imbitable. Je chéris pourtant la langue de Molière dans mon quotidien, mais dans le cadre professionnel Shakespeare s’incruste.
Sans parler des acronymes barbares, les anglicismes sont partout… jusqu’au ridicule, puisque même les mots existants en français sont remplacés par des mots en anglais.
Summum : Une cliente franco-suisse qui ne comprenait pas Base de données, mais utilisait Database à tout va. Et ce n’est pas forcément une question d’utilité ou de simplicité : entre cluster et audience : le mot anglais n’est pas plus court ni plus clair, mais il éclipse le terme français chez bon nombre d’internet mercatiqueurs quand même (OK, c’est moche là).
Mal générationnel
Critiquer gratuitement c’est bien (si si, c’est vraiment trop bien, un vrai plaisir du quotidien). Analyser c’est mieux. Le marketing n’est qu’un exemple – et un fer de lance, le domaine étant très yankee – mais le phénomène est global.
Perso, j’ai lu le Trône de fer, pas Game of Thrones. Drôle d’idée de re-traduire des noms de livres en anglais.
La langue s’est toujours nourrie des influences extérieures, mais il n’y en a pratiquement plus qu’une seule : l’anglais. On brunche le weekend, une garden party ou un happy hour au irish pub. Soit. Mais ça va maintenant plus loin avec de l’anglais qui remplace le français sur des expressions censées être spontanées.
A moins de vivre au fin fond des Ardennes, vous avez forcément déjà entendu des gens s’exclamer « oh my god! », « fuck! », « creepy!« , d’utiliser des expressions comme « pimpé » sans comprendre le mot « grimé », « cheap », by the way », « what the fuck » ou « small talk« . Il vous arrive aussi de ne pas être dans un bon mood, de manger fat ou de faire des selfies plutôt que des autoportraits. Bref, les américains ont gagné.
Et là je ne prends que celles que je connais et qui me reviennent en tête, mais c’est énorme. Particulièrement avec les générations Y et Z qui ont été biberonnées aux séries télé US en VOST et en séances de binge watching tous les lundis soirs. Vive le bullshit américain chronophage qui a généré des armées de sérivaures fières de l’être, qui assimilent une culture étrangère passivement sans se poser de question et qui en profitent même pour basher la faiblesse des créations françaises.
J’ai déjà des collègues utilisant des néologismes plus ou moins heureux : pitcher, matcher, updater, profiler (profaïler…vous y êtes ?), publishing… et last but not least, mon préféré : highlighter.
Il faut dire qu’à part les papy-boomers, qui a envie de s’enquiller Joséphine ange gardien ou la 15ème rediff des Experts en VF dans le désordre ?
Sérivaure venant de regarder l’intégrale de Plus Belle la vie.
Mais l’absence d’audace des productions françaises est un autre sujet. La prépondérance des séries US ne fait que s’intensifier. Sans parler des générations abruties à coups de Dora qui vont arriver. Et je n’ose imaginer quelle autre bouse infâme l’industrie du divertissement américaine va encore nous pondre. Et précisons, je ne dis pas que les séries US n’ont pas d’excellentes qualités et une culture très riche. Juste qu’il faut réfléchir sur ce que ça implique d’être un gros consommateur d’un passe-temps si chronophage.
Du diplomate au businessman
Symbole et outil de l’hégémonie américaine, l’anglais est devenu la langue mondiale par excellence. C’est dommage pour nous autres frenchies, car le français a longtemps été la langue de la diplomatie à l’international. La langue de la législation aussi.
Aujourd’hui, exit Talleyrand. Bonjour Trump. Les diplomates sont passés de mode. La diplomatie n’existe plus. Un seul langage compte, celui du business.
Instant culture : on parle d’un diplomate français de la regrettée époque où la France massacrait gentiment ses voisins.
Exemple frappant de cette évolution : l’incompréhension des américains face à Villepin, un bon diplomate nobliau à l’ancienne.
L’esperanto n’ayant pas fait führer (blague subtile au passage), c’est l’anglais qui est aussi devenu la langue facile à comprendre pour communiquer avec des étrangers quasiment partout dans le monde (enfin… je n’ai pas essayé au fin fond de la Chine ou de l’Inde…). C’est plaisant et nécessaire durant la mondialisation, mais c’est un enjeu politique qui conforte à nouveau la culture US aux dépends des particularités régionales/nationales.
En route vers une américanisation totale ?
On peut regretter cette évolution… Certains atlantistes macroniens diront que c’est la marche du monde, et que ça nous mène vers leur rêve d’état mondial. Il est important pour notre start-up nation de bien parler anglais pour se positionner sur le marché mondial…
Cette contre-utopie me tentant moyen, je tenterai d’écrire en limitant mes incursions anglo-saxonnes (sauf dans cet article, bien sûr)
A l’image de ce formidable 3615 USUL sur le même sujet dans les jeux vidéo.
Evidemment, ce n’est pas une injonction, et c’est probablement inutile. Comme de tenter de conserver le picard ou le breton dans 300 ans. On ne peut pas grand chose contre la marche de la « modernité ».
On pourrait imaginer une action politique pour arrêter le phénomène… mais vu les succès relatifs de la loi Toubon et de l’exception culturelle française, c’est un coup d’épée dans l’eau. Voire un effet néfaste qui ringardise encore plus la création francophone. Soit.
C’est sûrement génial, équitable et tout. Mais je suis pas sûr que ça m’aidera si je me perds au fin fond de l’Amérique du Sud.
Puis c’est la nature d’une langue de ne pas rester engluée : les influences extérieures l’enrichissent. A condition de se les approprier plutôt que de se laisser engloutir.
Pour une fois, je pense donc que ce sont les actions individuelles qui comptent : une fois conscientisé, c’est à chacun de faire ses choix linguistiques.
Approprions-nous les expressions anglaises réellement belles ou utiles sans sombrer dans le cliché de l’anglophilie, et cueillons les fleurs de notre belle langue.
Déjà-vu, rendez-vous, coup d’état, ohlala, c’est la vie, coup de grâce, cliché, fiancé, la vie en rose : les rosbeefs adorent le français, eux. Et ils ne sont pas les seuls, l’accent français a encore été élu le plus sexy de la planète. Si les étrangers le font, nous aussi on peut l’aimer notre franglais moche. Peut-être un moyen de bouffer de l’acculturation tout en résistant encore et toujours à l’envahisseur à notre manière…
« Nos ancêtres » les Gaulois résistaient aux Romains et s’imposaient chez les Bretons, eux !
Sur ce, j’ôte ma cape de filloniste gardien de l’esprit français immortel, et je vais me regarder un bon blockbuster.