« Oui » ou « Oui, mais les français ne s’en rendent pas compte » ?
Peur des nouveaux médias
Les réseaux sociaux, c’est mal. C’est connu comme le loup blanc.
D’abord, les jeunes s’abrutissent dessus, on est espionné, ça rend les gens malheureux, il y a du cyber-harcèlement, la lie de l’humanité qui ose y exprimer ses avis, des complotistes, des gens qui prennent des photos de leur repas, des relations fausses, des naïfs qui s’y font manipuler…
On a tous vu passer des articles indiquant les effets néfastes d’Instagram sur l’estime de soi (en bref, on peut facilement croire sa vie morose face à l’exposition continue à des moments heureux et valorisants choisis par nos proches), que notre cerveau n’est plus aussi efficace depuis Internet, ou que le cyber-harcèlement est un fléau dû aux réseaux sociaux et/ou à l’anonymat sur internet.
La plupart de ces points sont justes… mais ils sont à nuancer. L’arrivée d’un nouveau medium a toujours provoqué des réticences, plus ou moins fantasmées :
- Avec l’imprimerie, on a eu peur de la perte de la fonction de mémorisation des moines et érudits, plutôt que de s’enthousiasmer sur la large diffusion des savoirs.
- Avec le livre de poche, l’accès au savoir est simplifié et accessible à tous… mais on a méprisé cet accès permis pour des pauvres non-éduqués.
- La BD, la radio, la télé puis les jeux vidéo et enfin internet ont tous été accusés en leur temps d’être une cause majeure de perversion de la jeunesse. Les réseaux sociaux en sont la continuité.
Entreprises à réguler ?
Je ne vais pas aller jusqu’à défendre Facebook, Instagram, Youtube ou Snapchat en tant qu’entreprises. Elles revendent les données personnelles, y donnent accès à l’Etat ou aux renseignements étrangers, ont effectivement permis des cas de manipulation à des buts politiques, pratiquent la censure et le lobbying, ont une ligne éditoriale creuse au service de leurs annonceurs, utilisent des méthodes de conditionnement afin de retenir l’attention… Bref, ces multinationales vivent en s’engraissant sur le temps de vie qu’on y perd. Les Etats ont bien trop de retard pour maîtriser le changement et se contentent de tirer quelques bénéfices de la situation (de sécurité et de contrôle, principalement) au lieu de la réguler…
Au delà de la forme de ces entreprises qui est un risque pour la société, la fonction des réseaux sociaux a bien des effets positifs souvent passés sous silence ou trop peu ressentis.
Un atout pour la démocratie
Même si Facebook est plus vertical que les forums ou Usenet auparavant, le réseau permet toujours une bien meilleure horizontalité des rapports. A la télé, vous ne pouvez pas répondre au même niveau que l’éditorialiste qui a 15 minutes de présence chaque jour. Grâce aux réseaux sociaux, vous pouvez twitter une réponse au même niveau que votre rival politique. Vous pouvez poster des vidéos youtube, pondre un long article/statut Facebook ou en faire un détournement humoristique sur Instagram si vous avez envie. Internet permet à chaque citoyen.ne d’avoir effectivement accès à la parole publique et potentiellement une audience, peu importe d’où iel vienne.
Bien sûr, on ne peut pas voter en ligne, mais le gain actuel pour le débat public et la démocratie est déjà énorme.
C’est un changement profond et structurant qui s’opère dans la société, avec des retombées potentiellement positives (les printemps arabes par exemple). Les risques pour la démocratie sont soit des choses qui existaient déjà dans la démocratie (fake news, complots…), soit des risques dus à la nature d’une multinationale à but commercial déjà cités au dessus (vente de données, censure, assujettissement de médias…).
Développement relationnel
Revenons un peu sur le stress et les dépressions causées par les réseaux sociaux… hé bien c’est nettement moins important qu’imaginé.
En fait, tout est à peu près normal pour le bien-être de la majorité des gens, jeunes compris. C’est l’excès qui est néfaste. Il peut être dû à un mal-être pré-existant chez l’utilisateur (c’est donc juste un symptôme supplémentaire, comme le cyber-harcèlement prolonge souvent le harcèlement scolaire déjà existant) ou aux techniques de conditionnement utilisées pour favoriser l’addiction utilisées par ces entreprises. Bravo d’avance au gouvernement qui saura faire interdire le scroll infini ou les notifications en tout sens pour des raisons sanitaires.
Bref, si on régulait les problèmes d’addiction aux likes et notifs dus à l’économie de l’attention, les réseaux sociaux ont par ailleurs un effet positif sur votre vie sociale dans la majorité des cas, surtout que nous sommes maintenant bien plus conscients des risques que dans les premières années. Cela permet par exemple :
- Garder des contacts extérieurs et lutter contre l’isolement (plutôt utile durant le confinement)
- Connecter des personnes à l’autre bout du monde
- Organiser facilement un évènement avec des proches
- Obtenir des conseils, bons plans, soutiens…
- Accéder à une information riche et variée (encore que les efforts de censure et l’algorithme de Facebook n’aident plus sur ce point)
- Se rassembler autour d’une passion commune… même un truc qui aurait eu l’air ridicule auprès des ses proches « IRL« .
- Développer son extimité, c’est-à-dire enrichir son intimité et renforcer son image de soi à travers le partage d’éléments choisis de son intimité.
Ce dernier point vous parait sûrement abscons… à vrai dire, j’avais prévu de faire mon article juste sur l’extimité, mais je me suis un peu trop enjaillé sur ces histoires de bienfaits. Là c’est déjà trop long, donc on verra ça dans le prochain article !