Les grammar nazis sont une plaie bien connue des internets. Pourtant, c’est plus fort qu’eux : quand il y a une faute, il faut absolument le dire. La justesse d’un argument pèse bien peu face à la vérité absolue d’une grammaire parfaitement maitrisée…
Pourquoi cet attachement viscéral aux règles langagières ? Réponse avec l’excellent vidéaste et linguiste Monte de Linguisticae, qui nous aide à décrypter la langue et ses usages.
De la maîtrise du français
Personnellement, je vais au coiffeur, ça fait sens pour moi. Ces deux expressions impactantes te répugnent ? C’est probablement car tu étais bon-ne à l’école. Tu as réussi-e à intérioriser les règles de la langue, au point que tout dysfonctionnement aux règles te saute au visage comme le nez au milieu de la figure de Cyrano.
Être bon en langue n’a aucun lien avec l’intelligence… Enfin si, il faut bien quelques facultés minimales pour intégrer les règles… mais plein de génies reconnus n’en étaient pas capables : Léonard de Vinci, Steven Spielberg, Mozart ou encore Albert Einstein avaient tous un trouble dyslexique, à des niveaux variés.
Pourtant, lorsqu’un commentaire est bourré de fautes, il est assez naturel de penser « ok, lui il a pas l’air bien malin, il confond les conjugaisons d’être et avoir… la base quoi !«
Cet a priori négatif n’est en réalité pas basé sur l’intelligence mais sur le niveau de culture scolaire… lui-même largement défini par la classe sociale. En bref : être un grammar nazi, c’est faire du mépris de classe.
Oui… mais je vous vois venir :
- Il y a des pauvres qui écrivent très bien.
- La grammaire et l’orthographe normalisées se sont construites pour permettre à tous d’utiliser la même langue et de se comprendre.
- La norme permet d’unifier la francophonie, le pays et même aux gens de s’intégrer en se pliant à une même règle.
- Ces règles sont neutres, faut arrêter avec ces conneries d’inclusif, ça complique tout, puis c’est moche !
Ces arguments tournent en boucle dans les éditos de Marianne, dans les interviews du Figaro et bien sûr chez les spécialistes de l’Académie française… et bien : c’est de la merde !
Déconstruire les normatifs de la langue
Face à vos amis relous qui vous reprennent à la moindre « erreur », la chaîne Youtube Linguisticae vous donne des armes pour vous défendre et comprendre l’inanité des arguments.
Le plus grand vecteur de normes en France, l’Académie de française, est certainement un comité d’experts en linguistique travaillant avec acharnement pour harmoniser la langue en s’adaptant en temps réel aux nouveaux usages venus du monde anglo-saxon et simplifiant la langue pour faciliter sa diffusion… perdu !
Les réacs de tout poil ne cessent de s’offusquer du niveau en baisse, des jeunes qui lisent moins et des méchants wokistes qui simplifient le français pour complaire aux imbéciles car le niveau baisse… en fait non.
Et bien sûr, l’éternelle affirmation : les jeunes écoutent des musiques de merde, et c’est même pas en français, ohlala… hé bien non.
Qui est Monté de Linguisticae ?
Romain Filstroff, alias Monté, est vidéaste depuis 2015, mais surtout linguiste. Je n’y connais pas grand chose en théorie linguistique, mais il semble s’inscrire dans la linguistique énonciative. Contrairement aux structuralistes purs et durs, il met en valeur les usages réels de la langue.
La plupart des gens disent le covid, pourquoi une norme devrait le féminiser contre l’usage réel ? Des cadres sups disent asap, pourquoi ne pas le faire rentrer dans le dictionnaire ? etc. etc.
Parfois jugé trop descriptif et niant le besoin de normes pour établir une structure commune compréhensible à tous, Monté balaye ces critiques en se faisant l’apôtre d’une langue ouverte, plus simple d’usage et plus accessible. La norme est ici d’accepter les différences d’usages plutôt que de sacraliser le français du XIXe qui n’a plus cours que dans l’idéal vermoulu de vieux adorateurs d’une littérature surannée.
Les nombreux quiz du Figaro sont d’ailleurs un biais de confirmation pour ces Gaspard Proust en herbe qui se sentent détenteurs d’un savoir supérieur. Les titres sont éloquents : « 10 mots gaulois que vous prononcez sans le savoir », « 10 anglicismes qu’on ne veut plus entendre », « Repérez ces fautes de conjugaison si vous êtes un virtuose du français »…
De quoi croire à une culture française flamboyante et inaltérable… bref, l’empire napoléonien se niche encore dans cette langue autrefois internationale, et ce serait bien de le faire revivre tel quel plutôt que d’évoluer vers quelque chose de nouveau.
Aimer la langue sans être un connard ?
Je comprends les quiz du Figaro et même les grammar nazis : quand on aime une langue, on a envie d’en maîtriser tous les aspects, on aime ses subtilités, ses originalités, ses œuvres emblématiques et vouloir la préserver… Certes.
Linguisticae – et maintenant quelques autres linguistes de gauche invités dans les médias qui en ont compris les enjeux comme Laelia Veron sur France Inter – nous donnent une belle leçon : aimer une langue, ce n’est pas se gargariser de ses inutiles complexités, c’est aussi faire en sorte que tout le monde puisse se l’approprier, que tout le monde soit libre de l’interpréter librement sans subir les inquisiteurs restés bloqués sur Balzac.
C’est un peu ce que voulait R. Queneau avec son concept de néo-français. C’est aussi ce que cherche à faire l’écriture inclusive (que Monté n’utilise pas, mais je reparlerai peut-être de ce sujet qui fâche). Faire évoluer l’écrit, c’est faire vivre la langue. Et il est plus que temps de s’y mettre. Le français est une belle langue, mais formidablement difficile. L’essor de la francophonie en Afrique pourrait redonner une envergure internationale au français. Autant le faire avec un français vivant.