Durant notre voyage d’un an en Nouvelle-Zélande, je tenais régulièrement un blog. Ça occupe. Ça fait lien avec les proches à 18546km de là. Ça verbalise des ressentis.
A travers de longs et passionnants articles introspectifs, j’ai pu aussi réfléchir à moi. A ce que je cherchais, à ce que j’évitais, à ce que je trouvais parfois. 3 ans depuis le retour, il est temps que ce blog prenne la relève. Commençons par ce voyage lui-même.
La Nouvelle-Zélande ne me manque pas. Ce pays était beau et facile à vivre pour des apprentis voyageurs ; cependant, la culture anglo-saxonne en version colonie insulaire isolée, très peu pour moi.
Le voyage par contre… la vie en van, les galères, les paysages, les découvertes, le sentiment d’habiter le moment présent sans le poids des responsabilités à venir… Le voyage me manque.
Ça n’a pas été le cas tout de suite, au contraire. (Je passe sur l’épisode Covid et le flou professionnel qui feront l’objet d’un autre article). En rentrant, j’étais d’abord heureux de retrouver un chez moi. Profiter des joies d’habiter un lieu : cuisiner, décorer, prendre ses habitudes dans son quartier, vivre à deux dans un lieu plus confortable qu’une chambre d’auberge ou 4m² dans un van… Trouver une routine qui me convient a été un ravissement du quotidien. J’ai goûté le confort qui m’effrayait tant et m’y suis enfin plu.
Puis, ces habitudes se sont faites plus lourdes. La nostalgie du voyage est apparue. J’étais très pris par la préparation du concours et les découvertes d’un nouveau métier très prenant. Imperceptiblement, le manque était là, chevillé à ce corps devenu bien peu mobile. J’ai revu les photos. Relu les écrits. Recherché trace de notre van (en vain).
On ne ressort pas indemne d’un voyage. Nicolas Bouvier a écrit : « On croit qu’on fait un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait ». C’est juste. Et quasi tout son livre, L’usage du monde, vise juste et parvient à donner l’ivresse du voyage.
Cet ouvrage m’a donné envie d’écrire pour mettre des mots sur l’impact qu’a eu cette expérience dans ma vie. Ça semble grandiloquent et désuet, et pourtant, ça m’a transformé.
Les lieux sont une chose, mais le voyage est avant tout intérieur. J’ai appris sur moi. Je suis plus « débrouille ». J’ai pris goût aux tâches du quotidien. J’ai dû oser aller de l’avant et vers les autres. Je parviens plus facilement à extérioriser mes pensées, comme je suis en train de le faire avec cet article. J’ai expérimenté des boulots précaires, qui étaient pour moi un ennui temporaire et nécessaire, mais qui étaient des conditions de vie depuis 40 ans pour d’autres. A travers ça, j’ai pu toucher du doigt les absurdités des marchés, où des ingénieurs chiliens ont plus d’intérêt à trier des pommes de l’autre côté de la Terre que de faire leur métier chez eux, où des fruits sont envoyés en Europe après avoir été cultivés sur d’anciennes forêts natives qui hébergeaient des espèces menacées. J’ai une conscience plus affûtée de la diversité du monde, tout en ressentant l’impossibilité à l’embrasser dans son ensemble le temps d’une seule vie. Je me sens grandi.
Depuis le retour, j’ai fait quelques voyages. Plus proches. Plus courts, surtout.
Je m’émerveille toujours des découvertes. Seulement, je découvre moins. J’ai vieilli. Il y a des choses déjà faites, puis il y a la frustration du temps limité aussi. Je suis un touriste désormais, plus un voyageur.
Je déteste l’expression « le voyage d’une vie ». Comme si l’on ne pouvait partir qu’une seule fois de la sorte. Pourtant, elle est juste, elle aussi. Cette expérience ne se reproduira probablement pas dans ma vie, et c’est cette certitude qui nourrit la nostalgie qui conduit cet article. Plus jeune, j’ai toujours voulu me laisser le maximum de possibles. En toutes choses. Choisir, renoncer… ça me paralysait. Je ne faisais finalement rien. Et la vie passait quand même.
Or, en partant en Nouvelle-Zélande, j’avais fait un choix. Sans le moindre remord. En rentrant, j’ai fait un choix de carrière qui limite très largement ma mobilité. C’est parfois lourd, mais pas de regret non plus. Je suis plus heureux. Je sais désormais que si j’en éprouve le besoin, je peux prendre la décision de partir.
Certes, la nostalgie m’emporte aujourd’hui. Puisqu’elle me permet de réfléchir, elle ne me semble pas mauvaise conseillère. Je ne voyagerai peut-être plus sous la même forme, mais rien ne m’empêche de le faire autrement et de trouver d’autres formes qui me correspondent. Le confort et l’ennui ne sont pas une fatalité. Il y a plein de manières de se transporter ailleurs et d’apprendre sur soi au quotidien. A moi de les explorer.