Le public est stupide, l’homme dans une foule perd sa raison… Fouloscopie, la chaine tenue par Mehdi Moussaïd, chercheur à l’institut Max Planck, vous fera changer d’avis. Ses vidéos portent, comme le nom de la chaîne l’indique, sur le comportement des foules.
Mehdi ne cherche pas à faire de l’argent avec sa chaîne, il est avant tout chercheur. Youtube lui permet de populariser des sujets scientifiques, de donner le goût de la recherche… le tout avec un grand talent de vulgarisateur. En bonus, il valorise le collectif, a des cheveux incroyables, de très bonnes refs (à part Céline Dion) et beaucoup d’humour. Que demander de plus ?
L’analyse des foules croise beaucoup de sujets :
- La biologie, comparant les points communs entre foules humaines et bancs de poissons, colonies de fourmis, murmurations d’étourneaux etc. C’est le sujet de son doctorat, c’est ce qui me l’a fait connaître à travers la vidéo de Léo Grasset sur DirtyBiology (une autre chaîne à connaitre absolument).
- La physique, décryptant les mouvements de foules à l’aide de la mécanique des fluides et d’autres phénomènes physiques. Il explique les bousculades mortelles durant un mouvement de foule ou compare la densité humaine avec des tomates.
- La psychologie, s’interrogeant sur l’intelligence des foules.
Ingénieur-informaticien avec un doctorat en éthologie, il maîtrise l’étude des foules sous ces 3 angles. Et c’est le dernier qui est le plus intéressant à mes yeux ! De la plèbe romaine aux Gilets Jaunes, la foule est presque toujours vue comme une masse stupide et dangereuse.
Pour Gustave Le Bon, « pionnier » (mais surtout plagieur) sur La psychologie des foules (1895), la foule est « peu apte au raisonnement » mais « très apte à l’action ». Elle est irresponsable (responsabilité diluée), illogique et animée par des passions destructrices et conservatrices, la violence s’y propage par contagion sous l’effet de meneurs populistes. Les foules y sont criminelles (lyncheurs), impressionnables (jurés), manipulables (électeurs) ou incompétents (assemblées parlementaires).
Bref, s’il y a des éléments intéressants, il faut rappeler que le livre a peu de rigueur scientifique et est surtout inspiré par ses peurs bourgeoises de la montée de la classe ouvrière et des manifs qui faisaient rage à l’époque. Et ça marche, le livre a inspiré des totalitaires comme des bons républicains cherchant à maintenir l’ordre.
Et c’est un phénomène qu’on retrouve aujourd’hui à travers l’ochlocratie (gouvernement par la foule). Ce terme péjoratif et désuet est revenu à la mode chez les libéraux effrayés par les Gilets Jaunes et tous mouvements populistes (populiste étant bien sûr péjoratif aussi).
Fouloscopie démontre au contraire l’importance de l’intelligence collective.
Aujourd’hui, plus une seule recherche d’envergure peut se faire en solo, elles sont toujours le fruit du collectif. La foule peut trouver des solutions innovantes à des problèmes complexes, elle tend naturellement vers des réponses plus justes que les individus (le vote du public est d’ailleurs toujours le meilleur joker à Qui veut gagner des millions !)… il bat aussi en brèche la part du mérite dans le succès, explicite les fonctionnements de la viralité à l’aide du travail de penseurs comme Duncan Watts, Edgar Morin ou Stanley Milgram. Medley de ses meilleures vidéos :
Une analyse qui fait du bien après des décennies de lecture de la foule comme public obtus. Certes, les foules sont parfois manipulables (nudge ou neuromarketing cartonnent en ce moment, cascades de fake news), mais ils ne sont pas la masse informe et agressive que l’on a longtemps cru. Chaque vidéo de Fouloscopie est un petit élément jouissif qui vient nous rappeler la force de l’intelligence collective.