Bienvenue sur mon blog de gauchiasse ! Aujourd’hui, un article bourré de gros mots. On se demande pourquoi les fachos adorent les insultes.
Insulter ses opposants
Si les insultes existent partout, l’extrême-droite semble particulièrement prolixe en la matière. Toutes les personnes et courants de pensées qui n’ont pas leurs faveurs y ont droit :
- Les féministes sont des féminazis/nazguls, et tendent aujourd’hui vers le néoféminisme (pour l’associer au néolibéralisme ou aux néonazis, selon les cas). Une belle évolution des putes et mal baisées d’autrefois.
- Les journalistes sont des journalopes et autres mediacucks. Bref, des vendus.
- Les écologistes et vegans sont tour à tour des hommes sojas, des escrologistes, des khmers verts, éco-gauchistes, pastèques et autres écoterroristes en puissance.
- Les étrangers. S’autoappeler goy ou dhimmi pour surévaluer l’influence des juifs et des musulmans
- La gauche est encore et toujours le péril rouge. Autrefois taxés de bolchévistes, nous sommes ensuite devenus des social justice warriors ou libtards aux USA (où libéral est synonyme de summum de gauchisme). En France, nous sommes plutôt des islamogauchistes ou des wokistes. La gauche est bien souvent la première cible des insultes d’extrême droite.
Rhétorique viriliste
A gauche aussi on en utilise beaucoup pour ramener les droitards à leurs conditions : cryptofascistes, hainosphère raciste, poujadistes, mascus, jean-edgy et autres social-traitres… mais ce n’est pas si fleuri ni omniprésent dans les discours. OK, l’extrême droite n’aime pas grand monde, à part une vision fantasmée de la France des années 30 (avant le Front Populaire, quand même !). Mais pourquoi cette fascination pour les insultes ?
Cela vient premièrement de leur rhétorique viriliste. Pour s’affirmer en tant qu’hommes virils, ils faut abaisser les autres. Et les autres sont forcément des cucks. L’extrême droite suit une logique de darwinisme social… cocu, c’est donc la hantise absolue et la pire insulte. Les hommes sont forcément en compétition pour être le mâle alpha et dominant, tandis que les perdants, mâles bêtas, voient leur femmes se faire baiser par d’autres. L’insulte rejoint aussi le délire sur le grand remplacement. Les cocus se font prendre leur place par des noirs et des arabes. Ils ne prennent plus notre pain, mais nos femmes, quelle horreur !
Cette rhétorique exclue totalement les femmes, qui ont, au mieux, un rôle de soutien, au pire un rôle de victime et de tentatrice. On comprend alors mieux hommes sojas : êtres démasculinisés par le manque de consommation de viande (car la virilité provient essentiellement des protéines carnées nous ramenant à notre nature animale de chasseur, c’est connu). On comprend aussi journalope : être féminisé est insultant ; une femme qui couche comme elle le veut, c’est une infamie ; et cette souillure toucherait particulièrement les journalistes à la solde du pouvoir et/ou des idées de gauche (les deux sont assemblés dans leur esprit comme si Macron était un affreux progressiste d’extrême gauche).
Cela va de pair avec un déluge d’insultes homophobes pour appuyer ce virilisme : PD, enculé, tarlouze, métrosexuel… Un vocabulaire parfois caricatural. Papacito et Raptor Dissident l’ont bien compris et aiment surjouer la virilité sous une forme gaguesque, jusqu’à l’absurde… ce qui pourrait être drôle, s’il ne suffisait pas de les écouter pour se rendre compte que ça reflète vraiment leur pensée. Ils se croient vraiment être des surhommes nietzschéens car ils font de la muscu, prennent des douches froides et arrêtent de se branler pendant un mois par défi. Formidable ! Plus encore, leurs fans y croient. La survirilité est si drôle, que des militants ont vraiment essayé de faire des attentats sur des musulmans en s’inspirant de leur pensée.
Méchants intellectuels relativistes
Par ailleurs, bon nombre d’insultes s’attaquent aussi à la pensée supposément déconnectée des progressistes, ces bobo-citadins indigénistes adeptes de théories du genre… On parlait avant de bobo (pas une insulte, mais utilisée comme telle). On parle maintenant de wokiste.
Le terme permet d’inclure les féministes, les postmodernes, les décoloniaux… bref, toute recherche progressiste ou cariant une forme d’autocritique sont des délires de déconnectés, de gagnants de la mondialisation violentant les plus pauvres. Un fantasme de Guilluy et Zemmour qui ne correspond pas à la réalité. Et les gens peuvent se l’approprier pour y mettre ce qu’ils veulent car le mot n’a pas un sens clair ni précis en français. De l’écriture inclusive ? Wokiste ! Questionner l’universalisme pensé avant tout par des blancs ? Wokiste ! Refuser une laïcité à 2 vitesses envers les musulmans ? Islamo-gauchiste !
Etre woke – éveillé et sensible aux questions sociale, sexistes et raciales, ce qui semble être plutôt bon signe – est pour eux une insulte anti-intellectualiste. Les pensées qui ne vont pas dans le bon sens, celui de la gloire nationale ou raciale, sont l’œuvre de germanopratins déconstruits heurtant le bon sens populaire du charcutier de Tourcoing. Même quand les faits scientifiques et prouvés scientifiquement sont nombreux. « Les chiffres, on peut leur faire dire ce qu’on veut », alors pourquoi s’intéresser aux élucubrations d’hypocrites social justice warriors ? Les statisticiens, ils continuent de dire que les violences diminuent sans même voir la guerre civile !
Obsession d’une guerre civile
La fameuse guerre civile fantasmée entre les arabo-musulmans et les français de souche bien cathos… C’est l’autre grand thème de l’extrême-droite : l’imminence d’une guerre raciale. Coincés entre Le choc des civilisations d’Huntington et Le grand remplacement de Camus, ils ont une prescience (autoréalisatrice, je rappelle un exemple récent d’attentat d’extrême droite à Paris) qui leur permet d’insulter tout personne prônant le vivre-ensemble. Ce ne sont que des cucks… ou des traitres.
Je reviens ici sur l’islamo-gauchiste. Ce terme, inventé par Taguieff, autrefois grand penseur du racisme devenu un réactionnaire bas du front, n’existe pas par ailleurs comme concept scientifique. Or, l’extrême droite se l’est approprié pour insulter les traitres, ces gens de gauches qui veulent bien inclure les musulmans dans la société. ET hop, ça fait LFI, La France Islamiste.
Et le danger aujourd’hui, c’est que cette notion bidon s’est infusée dans la société et a été reprise et légitimée par le gouvernement. Blanquer en faisait le point central de son colloque anti-woke à la Sorbonne, Pécresse parle de grand remplacement, Darmanin d’ensauvagement… les thèmes d’extrême droite sont partout, et ce qui était autrefois une insulte (wokiste, islamo-gauchiste, écoterroriste…) passe dans le langage courant et officiel.
C’est un danger, mais ces même politiques préfèrent dénoncer le politiquement correct. Parler politiquement correct, c’est-à-dire de manière adaptée pour ne pas offenser inutilement des membres de la société, est un truc à abolir pour l’extrême droite et pour tous les politiques qui tendent vers leurs idées. La France est le théâtre d’une lutte de pouvoir où il faut être dominant. L’inclusion, c’est pour les victimes et les fragiles.
Le fasciste, c’est l’autre
Et c’est le dernier point : cette obsession pour la force est le miroir de leur fragilité.
Qui est le plus fragile : l’homme musclé et viril qui sent sa civilisation remise en cause par le déboulonnage d’une statue de général des guerres coloniales ou une personne qui s’indigne des propos racistes et se fera insulter de ouin-ouin ?
Qui est adepte de la cancel culture (encore un concept fumeux inventé par l’extrême droite et devenu commun dans toute la société) ? La meuf qui recommande de boycotter un jeu vidéo à succès finançant la transphobie, ou les groupes identitaires qui ont fait annuler les concerts de Médine au Bataclan juste parce qu’il est musulman ?
L’extrême-droite, devenant hégémonique culturellement, tente de retourner le stigmate. La dictature du politiquement correct, le totalitarisme wokiste, l’inclusif excluant… autant d’expressions qui n’ont aucun sens mais semblent se banaliser. L’extrême droite s’appuie sur une vieille citation de Churchill pour justifier leur non-sens : « Les fascistes de demain se nommeront antifascistes ». Le fasciste, c’est toujours l’autre. Pourtant, si on regarde bien, ce sont toujours des groupes identitaires qui organisent des ratonnades, publient des listes d’islamogauchistes, les anciens militaires publient une tribune le jour anniversaire d’un putsch… dans Valeurs Actuelles et non dans Mediapart.
Une lutte culturelle doit se mettre en place contre l’extrême droite. Elle a pignon sur rue chez Bolloré (Europe 1, Canal, Hachette…), elle a les moyens de faire passer n’importe quel concept anti-progressiste claqué comme des idées viables. Un autre monde doit être possible. Et s’il faut retourner les stigmates, prônons fièrement être woke, islamo-gauchistes et féminazguls ! Assumons nos fragilités, ça nous rendra toujours plus fort que des gens qui pensent que les insultes et la force physique rendent leurs idées meilleures.