Le tour d’horizon de l’histoire ancienne de la Géorgie nous a permis de voir les quelques spécificités qui ont permis à l’identité géorgienne de perdurer malgré des occupations multiples. Il est temps de s’attaquer au pays actuel, celui que l’on nomme vraiment Géorgie (ou plutôt Sakartvelo en géorgien).
Géorgie soviétique
1917 : fin de l’empire tsariste. Les pays de la région, Azerbaïdjan, Arménie et Géorgie sautent sur l’occasion pour réclamer l’indépendance de la Transcaucasie… et évidemment se divisent 1 an plus tard. Si on ajoute qu’on est en zone tampon de la Première Guerre Mondiale, les conflits avec les communistes et les guerres territoriales avec les voisins, c’est un joyeux bordel pendant quelques années.
1921 : l’armée rouge vient « simplifier » les choses en envahissant leur allié géorgien. Un an plus tard, le pays intègre l’URSS.
Staline, lui-même né en Géorgie, prend tous les pouvoirs la même année. Il élimine ses opposants et casse toute opposition anticommuniste dans le pays, à coups d’assassinats politiques et religieux. Staline y est porté aux nues, le culte de la personnalité tourne à plein régime. La Géorgie devient le lieu de villégiature de l’élite bolchévique. Les datchas des leaders du parti fleurissent à Tbilissi et sur les rives de la mer Noire.
Après sa mort, la déstalinisation de Khrouchtchev est rejetée (mais les manifs sont matées dans le sang, comme au temps de Staline). Le petit père du peuple, fierté nationale, a rapidement le droit a son musée à Gori. Une merveille de kitsch qui sent bon la naphtaline, mêlant passion sincère pour un dictateur et timides critiques de ses massacres. La maison natale a été déplacée brique par brique sur la place centrale de la ville.
L’Etat géorgien a récemment déboulonné la statue de Staline qui trônait devant l’hôtel de ville… de nuit pour éviter les émeutes de la population de Gori qui s’y refusait.
La difficile indépendance de la Géorgie
La Géorgie connait ensuite une évolution similaire aux nombreux oblasts soviétiques. En 1991, le pays profite de la fin de l’URSS pour prendre son indépendance… et se choisir un nouveau dictateur. Mais nationaliste cette fois.
L’Ossétie du Sud réclame plus d’autonomie… et se fait intégrer de force à la Géorgie. La révolte gronde. Les rebelles ossètes, pro-russes, proclament leur indépendance. Les Abkhazes, eux-aussi financés par la Russie, suivent peu après. Ils expulsent les Géorgiens du pays.
En parallèle, le pays plonge dans la guerre civile entre partisans et opposants du dictateur Gamsakhourdia après qu’une manif a dégénéré à Tbilissi.
Son successeur, Chevardnadze, est obligé de négocier les indépendances sous la pression russe. En retour, il est soutenu contre les partisans du précédent dictateur et stabilise le pouvoir, mais il est devenu impopulaire. Le pays plonge dans la crise économique et la corruption.
Saakachvili et Glucksmann en Géorgie néolibérale
Après une destitution en 2003, Saakachvili est élu.
Il met en place une politique anti-russe et pro-occidentale qui a encore un lourd impact sur le pays. C’est un pur néolibéral, conseillé par… Raphaël Glucksmann. Celui qu’on fait passer pour un ténor de la gauche dans les médias français était marié à une conservatrice et achetait des armes pour le régime.
Ami et conseiller du président, il a surtout participé à détruire les services publics, à privatiser et à détruire les droits sociaux en Géorgie :
- Suppression massive de postes de policiers et fonctionnaires
- Limitations du budget (suppressions de postes massives, salaires des fonctionnaires et retraites minimales non-payés pendant plusieurs mois pour pousser à travailler ailleurs…). Il est très courant de voir de vieilles personnes bosser en Géorgie.
- Suppression de l’inspection du travail, de l’autorité de la concurrence et du salaire minimum
- Diminutions d’impôts sur les sociétés et les dividendes
- Remplacement de l’impôt sur le revenu (progressif, plus juste), par un impôt fixe
- Code du travail réduit en faveur des employeurs (licenciement simplifié sans contrepartie, moins de réglementations de santé et sécurité au travail, droit de travailler sans visa ni permis pour les étrangers…
- Simplification des créations d’entreprises, des investissements étrangers
- Privatisation des ports, hôpitaux, de l’énergie, des mines… au profit d’entreprises étrangères
- Déficit plafonné à 3%, dette à 60%
- Interdiction du contrôle des prix et des mouvements de capitaux
- Impossibilité de lever de nouvelles taxes sans référendum, et uniquement des taxes non progressives… le pays est l’un des moins taxés au monde
J’ai hâte de voir ce que Glucksmann, éminent membre du Nouveau Front Populaire, ferait en France ! Avec une politique de gauche pareille, la souveraineté semble assurée…
Bref, c’est en apparence une réussite. Plus de liberté religieuse. Croissance économique enclenchée mais fragile. La bourgeoisie s’est renforcée. Les exportations de vin et d’eau minérale se poursuivent. Le tourisme se développe… La pauvreté n’a par contre pas bougé, pas de ruissellement. Ne parlons pas de l’état des routes et autres services publics du pays, qui semble parfois être une sorte de paradis de l’urbex entre ruines et constructions jamais finies. Ni des tortures perpétrées dans les prisons que Saakachvili a lui-même surpeuplées.
En 2007, Saakachvili est réélu malgré l’échec d’une révolution. Il subit l’offensive russe en 2008 qui l’oblige à reconnaitre l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie indépendants. En 2013, il est finalement battu et s’exile alors en Ukraine pour éviter les poursuites. En 2021, il revient et part découvrir ses chères prisons, pour abus de pouvoir.
La Géorgie aujourd’hui
Rêve géorgien mène les élections depuis 2013. Une ancienne diplomate franco-géorgienne indépendante et alliée à ce parti, Salomé Zourabichvili est présidente depuis 2018.
Elle symbolise bien les tensions qui parcourent le pays : pro-européenne et pro-atlantiste affirmée depuis la guerre en Ukraine, elle doit accepter les décisions de son parti devenu pro-russe. De nombreux migrants russes s’installent en Géorgie, renforçant les tensions.
Des lois sont passées en 2024 pour interdire les financements étrangers, et une loi homophobe, sur le modèle russe, est en préparation. Cela semble éloigner le pays de l’UE pour longtemps. Mais après tout, l’UE se tient derrière un pays agresseur au moyen-orient et accepte des nationalistes d’extrême-droite en son sein sans sourciller. Il ne faut jurer de rien sur l’avenir de ce pays aux portes de l’Europe.