Je continue mes pérégrinations dans les vieux numéros de l’Histoire, et j’ai accroché sur le numéro de Juin 2023 sur les Phéniciens : la puissance des cités marchandes.
Mes connaissances sur le sujet se bornent quasiment à 2 choses :
- Le gros batelier qui rapporte le pétrole dans Astérix : c’est un peuple de marchands et de marins
- Les 3 divinités qu’on peut récupérer dans 7 Wonders Duel, Extension Panthéon (Astarté, Baal, Tanit) : c’est un peuple polythéiste plutôt orienté sur le commerce
Oui… J’ai des sources d’une grande fiabilité ! Mais comme je le dis souvent à mes élèves, la culture est partout. On peut apprendre grâce à la BD, aux jeux vidéo, au sport… (et là, ils m’ont demandé ce que j’apprenais en jouant à Rocket League… petits farfadets !)
Ce numéro est donc l’occasion d’apprendre plein de choses sur ce peuple antique qui précédait les Grecs en Méditerranée.
Oui… mais non. On apprend quasiment rien car on ne sait quasiment rien.
Le peuple phénicien n’existe pas
Reprenons les bases : le mot Phénicien était utilisé par les Grecs parce qu’ils utilisaient beaucoup la couleur pourpre (phoînix en Grec) issue de coquillages écrasés qu’on trouve sur les côtes du Liban actuel. Ils leur ont donné ce nom comme s’il s’agissait d’un peuple avec un territoire, mais les Phéniciens ne se définissaient probablement pas collectivement. Il y a bien quelques traces d’une appartenance commune : des dieux en commun, des objets d’art, la présence d’habitants d’autres cités phéniciennes durant la destruction de Sidon… mais c’est tout.
Pas de sanctuaire commun. Pas d’Etat. Pas de lieu de retrouvaille. Pas de sentiment d’appartenance exalté. Pas vraiment de langue spécifique. Peut-être se nommaient-ils Canaanéens entre eux.
Le melting pot culturel phénicien
Au mieux, on peut donc faire l’histoire des cités phéniciennes : Byblos, Tyr, Sidon, Arwad, Carthage…
On remonte au IVe millénaire avant JC, et on s’arrête quand les grands empires prennent et/ou détruisent les villes phéniciennes, à l’avènement de l’Empire romain. La Phénicie semble surtout être un carrefour.
Linguistiquement, l’espace des Phéniciens semble croiser les éléments cananéens, araméens avec des influences de l’hébreu. Les Grecs pensaient qu’ils avaient créé l’alphabet, mais ils n’ont fait que le transporter, en faisant quelques ajouts, lors de leurs échanges.
Religieusement, les cités ont bien des dieux spécifiques… mais les cultes poliades (protection de la cité) ne sont pas vraiment une spécificité régionale. Il y en a partout autour de la Méditerranée et la Mésopotamie. Il n’y a pas de panthéon phénicien, mais on observe une flexibilité entre les dieux locaux. On peut donc trouver le dieu égyptien Horus, le dieu phénicien Astarté, des « Baals » signifiant « seigneurs » ou encore Melqart, le Baal de Tyr associé… à Héraclès. Quelques doutes subsistent sur des sacrifices d’enfants, mais qui semble une interprétation un peu orientalisante : on a retrouvé des urnes avec des restes d’enfants dans des sanctuaires. Difficile d’en déduire grands choses sur ceux-ci.
Culturellement, c’est encore un mélange.
Les nuances de rouge permettent un artisanat réputé, avec des inspirations diverses mêlant arts égyptien, égéen ou proche-oriental. De nombreux objets en verre et teintures ont été retrouvé, si bien que les Romains les croyaient inventeurs du verre… et c’est encore faux : ça vient de Mésopotamie.
Des cités commerçantes
Le point commun le plus flagrant entre ces cités phéniciennes reste d’être une terre d’échanges. Le commerce. Goscinny et Uderzo avaient donc raison.
Les Phéniciens créent quantités de comptoirs et villes autour de la Méditerranée. Ce n’est pas l’empire thalassocratique fantasmé pendant longtemps, mais c’est un réseau d’échanges, s’étendant aussi vers l’Egypte et la Mésopotamie. Les villes principales dans l’actuel Liban ne sont pas les créateurs d’alphabet et objets en verre nouveau, mais ils en sont les passeurs et les producteurs à plus grande échelle facilitant leurs échanges et l’enrichissement des villes.
L’histoire des cités phéniciennes s’arrête généralement à leur conquête et intégration dans d’autres empires, faisant disparaître leurs spécificités identitaires déjà faibles.
Arwad est prise par les Assyriens puis les Perses. Sidon est prise par les Perses puis se rallie aux hellènes. Tyr est un bon exemple. La cité se développe depuis 2700 avant JC. Elle connait plusieurs âges d’or, lui permettant de créer d’importants comptoirs comme Carthage en 814 av. JC. Puis, la cité s’efface sous la pressions des empires. Nabuchodonosor II l’assiège vers 580 av. JC, les Perses la dominent ensuite, enfin Alexandre prend la ville en 332 av. JC. Puis l’identité phénicienne se perd dans l’Egypte lagide des Ptolémée. Carthage, le comptoir phénicien ayant réussi à constituer un 1er empire concurrent de Rome est aussi balayé en 146.
On remercie donc cette revue de nous avoir rappelé des principes socratiques bien plus Grecs que Phéniciens : tout ce qu’on sait, c’est qu’on ne sait rien. On aurait presque pu se contenter de relire Astérix.