Philippe Descola est probablement le plus important anthropologue français depuis Claude Levi-Strauss, son mentor.
Même si je ne suis pas vraiment compétent pour l’interdisciplinarité, j’ai essayé de m’y intéresser un petit peu pour comprendre les bases de son travail. C’est pas évident, mais c’est passionnant.
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Sous ses airs de Victor Hugo moderne, Descola est un scientifique réputé pour ses travaux d’ethnologue parmi les Achuar, une tribu Jivaros d’Amazonie, avec sa femme Anne-Christine Taylor. Il est devenu célèbre au delà du microcosme académique avec son ouvrage d’anthropologie Par delà nature et culture en 2005.
Bien… mais je l’ai pas lu. J’aime bien apprendre, mais me lancer dans 640 pages d’anthropologie alors que je n’ai pas la moindre base dans le domaine… j’avoue, flemme. Rien que le titre me rappelle les heures les plus sombres de mon année de Terminale.
Je me suis donc contenté d’une introduction vulgarisée par Philippe Descola lui-même dans cette belle collection de CNRS Editions qui permet de découvrir des scientifiques réputés se racontant et expliquant comment leur vie de recherche leur a amené à produire leur pensée.
Ce petit ouvrage retrace son parcours, et m’a ouvert la voie vers le concept central, les quatre ontologies observées et comparées par Philippe Descola. J’ai probablement pas tout compris, mais essayons de résumer un peu (attention, c’est compliqué).
Les quatre ontologies de Descola
Une ontologie déjà, c’est quoi ?
En philosophie, l’ontologie est la grande question : « c’est quoi être ? ». Cela va plus loin que la métaphysique, ce concept issu d’Aristote n’étudie pas le sens d’être, mais les manières d’être. Comment vit-on ? Comment perçoit on son existence et celles des autres ? Comment comprend-on sa façon d’être au monde ?
Comme être peut avoir plusieurs sens, c’est un peu sans fin… mais notre barbu propose un tableau pour résumer les 4 grandes manières de voir son être au monde.
Pendant longtemps, on a opposé nature et culture pour comprendre notre être au monde. Les observations de Philippe Descola l’amène à dépasser ce clivage pour laisse s’épanouir la coexistence de nombreuses manières de voir le monde, en fonction de la perception des différences/ressemblances physiques et intérieures entre humains et non-humains. C’est donc en bonne partie une critique de notre humanisme, dont s’inspirent de nombreux courants de pensée comme les écoféministes.
Naturalisme
Commençons à celle qui est la plus évidente pour nous occidentaux, puisque c’est notre vision des choses depuis l’humanisme. Nous séparons la culture (ce qui est marqué par l’humain et le savoir), de la nature (tout le reste). On partage une physicalité en ce monde, mais notre conscience serait une intériorité qui n’appartient qu’aux humains.
Cette distinction permet de mettre l’Homme au centre, de distinguer l’humain du non humain (tant pis pour les animaux d’élevage)… mais aussi les sociétés humaines entre elles (avec une fâcheuse tendance à les hiérarchiser). Elle a été le moteur du Progrès technique, de l’émancipation de la religion… mais aussi la justification de l’élevage industriel, de la colonisation ou le fondement de l’eugénisme et du darwinisme social etc.
Cette conception est récente. Elle donne des causes à toute chose. Que ce soit un Dieu transcendant, la nature humaine, la Nature, l’ordre des choses… Cela forge notre vision du monde et nous empêcherait de percevoir les autres regards. L’auteur lui-même tente de leur rendre leur place tout en se sachant formaté par ce naturalisme.
Analogisme
Deuxième ontologie de Descola, l’analogisme ferait une différence plus large basée sur les intériorités et les physicalités. On sépare donc les humains des non-humains, puisqu’ils sont physiquement différents (pas le même corps, pas d’usages similaires) et n’ont pas les mêmes caractéristiques internes non plus (conscience, mémoire, intentions…).
Comme dans le naturalisme, on classe donc le vivant et les choses selon des attributs physiques et mentaux. Par exemple, l’administration chinoise classait selon un système de correspondance par élément (eau, feu, bois, métal, terre).
L’analogisme permet d’établir une « chaîne des êtres » faisant des liens entre les catégories. Cela peut aussi justifier une hiérarchie entre elles. On peut aussi exporter la composante d’un groupe à un autre groupe. Ainsi, les polythéistes romains s’appropriaient les dieux grecs ou égyptiens en faisant des analogies avec leur propre panthéon, comme Serapis ci-dessous. Idem pour les Phéniciens.
Toujours présent aujourd’hui, c’était le mode de pensée le plus commun au monde, avant la Renaissance.
En bon naturaliste malgré moi, j’ai tendance à penser que c’est aussi la tendance la plus naturelle chez l’humain. En pédagogie, on voit l’élaboration du raisonnement par analogie chez l’humain et on tente d’amener les esprits à conceptualiser plus largement ensuite.
N’ayant hélas pas lu l’ouvrage le plus complet, je ne sais pas comment Descola l’explique sans sombrer dans un évolutionnisme social, renvoyant les analogistes au niveau d’enfants ou de dangereux adeptes de la hiérarchisations entre les humains. Ni comment les sacrifices humains trouvent leur place dans cette ontologie.
Totémisme
Le totémisme serait l’ontologie la plus courante et traditionnelle chez les chasseurs-cueilleurs. Le concept était visiblement un fourre-tout des sociétés traditionnelles au XIXe et a donc beaucoup évolué.
On voit donc une identification entre groupes humains et espèces animales en fonction de qualités en commun, qu’elles soient physiques ou intérieures, avec parfois un lien de parenté ou ancestral, mais aussi un caractère sacré du totem. Par exemple, un clan peut s’identifier au raton-laveur chez les Chicasaw selon Lévy-Strauss, ce qui conduit ce groupe humain à se nourrir lui aussi de poisson et fruits sauvages. L’être humain trouve un trait commun avec des éléments du monde préexistants. Pour Descola, ce modèle fonctionne bien chez les Aborigènes australiens et quelques peuples d’Amérique du Nord, mais ne correspondait pas du tout à son terrain d’études
Animisme
Chez les Achuar, Philippe Descola observe autre chose. Il déterre donc la notion dualiste d’animisme pour expliquer leur manière d’être.
Traditionnellement, l’animisme était vu comme une croyance primitive où des esprits peuvent exister aussi bien dans les êtres vivants que dans les objets, les pierres ou des éléments non perceptibles par l’humain. Une sorte de stade initial de la religion qui précède le fétichisme, puis le polythéisme, le monothéisme et enfin le triomphe de la pensée humaine libre.
Pour cette 4ème ontologie, Descola rejette cet évolutionnisme religieux et redéfinit l’animisme dans une conception plus écologiste. Pour lui, l’Homme s’identifie au monde selon son intériorité et sa physicalité. Des différences physiques majeures n’empêchent pas une intériorité commune. Animaux, plantes, humains peuvent avoir la même âme. Les Achuars voient des caractéristiques suffisamment proches de leur propre humanité dans ces éléments pour les traiter comme tels. Ils pourraient se métamorphoser en l’un ou l’autre.
Ce n’est donc pas une croyance religieuse, mais une expérience spirituelle de communication avec le vivant et le non-vivant. Le rêve a par exemple un rôle central.
C’est assez surprenant de trouver cette vision du monde très symbiotique vis à vis de certains, dans un peuple qui vit en prédation entre clans, et qui était auparavant connu pour réduire les têtes de ses ennemis. Descola y voit la volonté de prendre leur identité. La prédation est centrale, elle est un mode de relation important et normal coexistant avec les autres.
Une ébauche à compléter…
Le défaut de la vulgarisation, c’est que ça donne une compréhension très partielle et que mon esprit a tendance à combler les trous par des analogies douteuses qui peuvent faire perdre le sens global.
La mise par écrit a pour but de faire comprendre, mais aussi de m’obliger à clarifier et à approfondir. J’aimerais être expert de Franz Boas ou Claude Lévy-Strauss pour expliquer le totémisme. Ou comprendre la place de Descola chez les anthropologues anarchistes comme James Scott ou le regretté David Graeber. Ce ne sera pas pour tout de suite.
Et voilà qui me tourne vers moi : faut-il étudier la question en autodidacte ? Compléter mon temps en étudiant à distance ? Ou arrêter de baragouiner sur des sujets que je ne maîtrise pas et écrire autre chose ?