Quel titre barbare hein ? Je vous explique…
L’après CAPES
En préparant mon concours pour devenir prof d’histoire-géo, j’ai dû me replonger dans le monde universitaire. La montagne de travail à accomplir m’a fait peur. Puis, j’ai adoré.
Maintenant que je suis enseignant, je n’ai plus d’objectif à atteindre. Ça ne motive pas aux lectures universitaires. C’est assez ennuyeux, surtout quand on n’en a aucune application directe (l’agreg n’est pas pour tout de suite…).
Sauf que cette année j’ai du temps libre et peu de nouveaux cours à préparer. J’ai tendance à végéter. L’un de mes objectifs en devenant prof était d’être utile et d’être stimulé intellectuellement (les échanges avec des collégiens de 12 ans n’étant pas forcément l’idéal sur ce point).
On m’a donc donné l’excellente idée d’utiliser ce blog pour faire des « fiches de lectures ». Et comme je suis quelqu’un de sympathique, je vous épargnerai le style télégraphique des mes prises de notes pour tenter de vulgariser les grandes idées, avec ce qui m’a intéressé, plu et déçu dans mes lectures.
La documentation photographique de Jean Estebanez
On commence donc avec la Documentation Photographique d’octobre 2022 rédigée par… mon prof de géo des frontières à la fac de Créteil.
La revue s’inscrit dans la grande tendance des animal studies, faisant le lien entre humains et animaux. Ces études croisent de nombreuses disciplines, de l’éthologie à l’ethnologie en passant par la socio, l’histoire ou encore la philo. Sur le sujet, on peut penser au dernier livre de François Jarrige sur la force animale durant l’industrialisation, ou aux analyses sur l’écologie des relations de Philippe Descola.
J’ai même une pote de promo, photographe animalière, qui a fait son mémoire sur les chiens de compagnie à l’époque moderne.
Ici, Jean Estebanez s’intéresse à ces relations d’un point de vue géographique en croisant avec les autres disciplines. Pour une documentation photographique, on oublie souvent l’analyse géographique pour offrir des considérations générales ou croisées. Logique, vue la thématique transdisciplinaire, mais surprenant.
Animal studies en géographie
A travers 4 parties, Jean Estebanez parcourt les relations entre humains et animaux avec souvent un prisme spatial.
Il observe d’abord la place de la biosphère sous l’anthropocène, avec des exemples précis sur la 6ème extinction de masse en cours. Il détaille notamment les effets des pollutions sonores, la diffusion des zoonoses, ou les effets des remembrements sur les oiseaux dans le Perche. (spoiler : retirer les haies pour des champs de monoculture sous pesticides n’est pas très bon pour la biodiversité…)
Il continue ensuite sur la coexistence entre humains et animaux, l’occupation de leurs territoires par les animaux, la chasse ou l’urbanisme. Il met en lumière le commensalisme, cette relation neutre entre animaux et humains. Une notion très intéressante à distinguer du parasitisme (nuisance de l’animal sur l’homme, comme un virus) et du mutualisme (bénéfice mutuel, comme l’abeille pollinisateur) ou de la symbiose (tout à la fois, comme notre microbiote). Cette relation aurait amené la domestication et aurait par exemple amené les pies de la forêt au périurbain.
Jean Estebanez poursuit ensuite sur la protection et la consommation des animaux, qu’il lie comme deux faces d’une même pièce sous le capitalocène. Les animaux de compagnie, le trafic d’animaux sauvages, les zoos devenus lieus d’élevages d’espèces exotisées ou encore les méthodes d’abattage sont passées au crible, avec les parcours, l’organisation des lieux et les différences selon les espaces, par exemple l’abattage dissimulé en France par rapport à l’abattage festif dans les rues de Khartoum.
Enfin, la revue se conclue par les aspects moraux de nos relations aux animaux. C’est la partie la plus intéressante pour moi. La plus politique. Pourquoi protéger les animaux pour le tourisme international aux dépens des habitants ? Pourquoi accepte-t-on de tuer un animal pour le plaisir de la chasse, mais pas la zoophilie, comme s’il y avait plus de consentement à se faire mettre à mort qu’à avoir des relations sexuelles ? Une comparaison entre les vétérinaires français (euthanasiant les animaux en souffrance) versus les vétérinaires indiens (laissant la souffrance comme partie intégrante de la vie plutôt que de tuer) nous amène aussi à réfléchir sur notre rapport à la mort et la souffrance. Puis ça rejoint les débats actuels sur le véganisme, l’antispécisme et le bien-être animal.
Bilan de cette étude animaliste en géo
Avantages :
- Format efficace : introduction donnant le contexte + double-pages thématiques
- Documents. Comme son nom l’indique, chaque sujet abordé est richement illustré
- Clarté. Jean Estebanez est calé, et il est bon didacticien. Tout est bien organisé pour avoir une vision d’ensemble du sujet
Inconvénients :
- Le style : Jean Estebanez n’est pas pédagogue. Le style est académique, ça ressemble à une dissertation mise en revue. C’est parfois lourd et ça manque aussi de prises de positions fortes.
- Des exemples limités. Curieusement, le sujet ne semble pas assez poussé par moment, tandis que le même exemple sur les abattages à Khartoum est cité au moins 5 fois.
- Une interdisciplinarité en demi-teinte : la géo disparait bien souvent.
- Des manques. On aimerait qu’il traite d’autres sujets : la biomimétique, les protéines issues des insectes, les animaux durant la guerre, les cycles de pêche pour l’aquaculture « raisonnée »…Pour aller plus loin sur le sujet, je recommande d’écouter les podcasts Mécanique du vivant et Baleine sous gravillon. Marc Mortelmans nous raconte nos relations au vivant, la biomimétique et plein d’autres choses avec entrain et optimisme. C’est plus accessible et tout aussi intéressant.