Si l’on peut souvent entendre que l’économie du partage peut présenter le meilleur (coopération, C2C, torpillage des géants industriels) et le pire (la fameuse uberisation, entre autres). L’économie du partage est un phénomène pluriel en plein essor qui ne laisse personne indifférent.
J’ai déjà expliqué les principaux modèles économiques de l’économie collaborative, et il est évident que certaines dérives sont intrinsèques à leurs business models : la revente d’informations personnelles a posé de réelles questions d’éthique pour Couchsurfing et ses utilisateurs ; Wikipédia reste dépendant de ses donateurs, OVS de ses régies de pubs ; Uber et consort plongent dans des vides juridiques et imposent des fonctionnements à la limite de la légalité etc.
Une philosophie discutable
On pense forcément aux dirigeants d’Uber qui se distinguent régulièrement par leurs déclarations et leurs actions contestables : volonté de casser les journalistes salissant l’image de leurs marques, « optimisation fiscale » (c’est-à-dire une évasion fiscale aussi immorale que légale), techniques déloyales, volonté de remplacer leurs chauffeurs par des voitures sans chauffeurs… et bien sûr une idée de fonds : utiliser du travail indépendant pour se débarrasser du salariat : pourquoi le patronat devrait-il encore se faire chier avec ça ?
Balance fiscale des plus imagées
Oh mais il y a aussi des bons patrons et des entreprises qui font les choses dans une vraie logique de partage : La Ruche qui dit Oui, Couchsurfing, Wikipédia… Les micro-évènements d’Uber sont un cas à part et ne sont pas représentatifs ! Mouais. Pas tout à fait. Connaissant personnellement des gens dans ce genre de boîtes, je pourrais vous en dire de belles sur les techniques de Negative SEO, ou sur les montages juridiques en filiales permettant d’exploiter des stagiaires plutôt que de payer des salariés.
Negative SEO : des techniques déloyales pour faire couler le concurrent dans les profondeurs de Google
Se fier au mythe du bon patron vertueux quand le système lui-même produit un risque global, c’est inepte. D’ailleurs ces exceptions que l’on connait tous, on les connait justement parce que ce sont des cas rares, voire des moyens de communication. Pour l’évasion fiscale, on retrouve quasiment tous les autres. Une bonne partie des entreprises de l’économie collaborative partagent une philosophie commune. Une ambition de grandir vite pour devenir le leader qui changera la manière de consommer en dépit de l’impact sur les nombreuses personnes vivant de la vieille économie ainsi attaquée.. On retrouve les mêmes travers chez la plupart des acteurs (AirBnB, BlaBlaCar…). Tous s’inspirent des pratiques des géants du web et se justifient par la concurrence internationale (quand ils se justifient).
Et pour cause, sur le web plus qu’ailleurs, il est essentiel de grandir vite et de s’affirmer comme un leader, en évitant les entraves des Etats. Difficile de rester un bon patron quand on est en phase de Growth Hacking face à des concurrents supposément moins soucieux que vous.
Growth Hacking : expression inutilement en anglais pour faire passer un concept simple pour un concept marketing incroyablement novateur. Synonyme : pipeau
Tout pour le monopole !
Un rappel sur l’économie de marché au sein d’un système capitaliste : les marchés tendent à devenir des oligopoles, voire des monopoles. Certains fans d’Hayek parleront de la main invisible, l’équilibre du marché sans intervention blablabla… mais en fait, vu les droits d’entrée sur un marché mondialisé, la concentration du capital et la facilité pour les acteurs en place de racheter les pépites montantes à coups de milliards (coucou WhatsApp) etc. etc. Bref, on se retrouve vite avec un oligopole quand l’Etat ne régule pas un peu. Après il y a les querelles entre l’état régulant pour facilité le marché chez les ordolibéraux, et ceux qui espèrent encore le moraliser. Et bien, il y a du boulot !
Hayek, dieu de Reagan, Thatcher et de leurs héritiers
Sur le web, ces mécaniques sont largement exacerbées et les Etats ne peuvent quasiment pas réguler puisque le phénomène est transnational. Une intervention de l’Etat à l’échelle nationale a souvent peu de poids à l’échelle mondiale et les décisions de justice sont difficiles à appliquer quand l’entreprise implante son siège dans un paradis fiscal au droit national permissif pour les entreprises. Et ça, c’est en attendant le Tafta qui permettra aux multinationales d’attaquer les Etats ne respectant pas les règles du jeu du marché, qui imposera la prééminence des entreprises sur les décisions politiques nationales. De quoi motiver les élans souverainistes de certains… mais je m’égare.
Tous plus classes les uns que les autres
Sur quasiment chaque marché du web, on ne trouvera que quelques acteurs, avec souvent un leader loin devant tous les autres. Google, Facebook, LeBonCoin, Amazon, Uber, Blablacar… autant de sites largement leaders sur leur secteur. S’ils peuvent être déstabilisés par un acteur présentant une innovation (genre LeBonCoin torpillant eBay en proposant le C2C gratuitement à proximité plutôt que par livraison), très peu d’acteurs peuvent être concurrencés frontalement par un nouveau venu.
Sur un site de partage, le fonctionnement est souvent communautaire, ce qui indique un sentiment d’appartenance à la marque très fort et génère un rapide « bouche-à-oreille » (aujourd’hui, on dira plutôt buzz, mais je suis old-school). Ainsi, la croissance est exponentielle, d’où le besoin de croissance très rapide pour s’affirmer comme un leader avant de subir un concurrent étranger ou autre déconvenue dans le formidable essor de ces start-up jeunes et dynamiques au bel esprit entrepreneurial.
Jeune entrepreneur qui pédale sans casque au milieu des conducteurs parisiens, avec la joie de se savoir être son propre patron… bon ok, j’arrête l’ironie.
Et ce fonctionnement génère des problèmes qui transfigurent totalement l’objectif de départ affiché des start-up du collaboratif :
- AirBnB a etoffé son offre avec de nombreux professionnels, bien loin du modèle de partage de son propre habitat
- PriceMinister ou eBay délaissent le C2C pour renforcer leur aspect place de marché + rentable
- Etsy se professionnalise aux dépens des petits créateurs en DIY
- Uber rachète des flottes de conducteurs privés
Evidemment, on est loin de la plateforme de partage permettant à chacun de s’épanouir ou de fructifier son petit capital quand il a le temps. Les vieux acteurs ont qu’à s’adapter, et les gens pas contents ont qu’à pas utiliser ces services et continuer à utiliser un service français de moindre qualité mais en accord avec leur éthique… Ben non ! Et je réfuterai ce schéma de pensée individualiste et démonterai les effets irrémédiables sur l’économie globale dans mon prochain article.