Marronnier des journalistes comme des community managers, l’économie participative est en plein essor. Son marché est mondial et croît incroyablement vite grâce à internet (de 15 milliards de dollars aujourd’hui à 335 milliards prévus pour 2025). Un véritable bouleversement pour les grandes entreprises, mais aussi dans nos habitudes. Privilégier les circuits courts, donner des opportunités à chacun, faire des économies d’énergie… on prête de nombreuses vertus à l’économie collaborative. Mais quel est le modèle économique de ces sociétés ? Est-ce vraiment la panacée ?
Chiffres de 2013 qui devraient être totalement explosés d’ici 2025 selon les « experts »
Des startups en pagaille
L’économie du partage existe depuis longtemps : covoiturage, brocante, petites annonces, échange de cartes Pokémon, kolkhoze, kiboutz… on n’a pas attendu Internet pour comprendre qu’on pouvait tirer du profit à collaborer directement entre nous sans passer par une entreprise. Mais le web et les smartphones ont considérablement changé la donne. Dans son essence même avec le Peer-to-peer. Puis par le relais d’entreprises comme eBay la « brocante mondiale » mettant en relation les particuliers. Mais depuis quelques années, le collaboratif est devenu un marché à potentiel, et il explose. On parle d’ubérisation de l’économie. Impossible de citer tous les domaines mais avançons quelques noms célèbres :
- Uber et ses chauffeurs
- AirBnB pour la location d’appartements entre particuliers
- Tous les clones de AirBnB : location de bureaux pros, de bateaux, de voitures…
- Blablacar sur le covoiturage
- Vinted pour l’échange de vêtements
- Etsy sur le Do It Yourself
- Kickstarter et Tipeee pour le financement participatif
Ces cas sont bien connus, mais le phénomène est bien plus étendu : partage de repas fait-maison, d’électricité, de frigo, de savoir (les MOOC), livraison de cannabis (médicinale bien sûr), prêts d’argent entre particuliers, banque, dons d’objets encombrants, conseils en décoration… Impossible d’en dresser la liste. Et beaucoup reste encore à imaginer : partage de ressources, suppression d’intermédiaires, coopératives…
Comment gagnent ils de l’argent ?
Internet est par nature un outil de partage entre individus. Souvent de manière libre et/ou gratuite : émulateurs, IRC, plateformes P2P (eMule, Kazaa…), Linux, mods, etc.
Mais pour exister, même les entreprises sans but lucratif ont eu besoin de se monétiser. Les autres acteurs – plus intéressés par le potentiel de ces « consommateurs usagers » – ont aussi adopté une stratégie. Des modèles économiques ont émergé :
- La mise en relation et sécurisation de l’échange entre particuliers contre rémunération. (eBay, AirBnB, Etsy, Vinted, Uber, Kickstarter…) L’internaute paye une commission au site lors de la mise en ligne ou lors de la vente de son produit/service. La rétribution est directe contre l’accès au service.
- La mise en relation et sécurisation de l’échange entre particuliers contre monétisation de l’audience. (LeBonCoin, OnVaSortir, Couchsurfing…) Ici pas de commission obligatoire. Le site se rétribue indirectement, principalement via la publicité ou la revente des données. Avantage : c’est souvent gratuit. Inconvénient : c’est donc vous le produit et les annonceurs sont les clients, comme sur les réseaux sociaux.
- L’appel aux dons. (Wikipédia, covoiturage-libre…) Passionnés ? Idéalistes ? Ces acteurs offrent leur service gratuitement et subsistent grâce aux dons de leurs utilisateurs.
Pour accompagner ces modèles, d’autres techniques et modèles, généralement complémentaires, sont aussi en place :
- Les services payants supplémentaires : comptes premium, mises en avant, évènements payants, service personnalisé… autant que l’imagination le permet. C’est aussi le modèle des jeux vidéo freemium par exemple.
- La rémunération au lead (Houzz, Point.P, Decovery…). L’entreprise met ici le client avec des professionnels émettant des devis/conseils. Bien sûr, ces conseils sont surtout d’excellents leads revendus à l’entreprise
C’est une évidence, je manquais d’inspiration pour illustrer cet article.
Bien sûr, d’autres possibilités existent (accès payant à l’ensemble du service, parrainages…). Finalement, on n’est pas si éloignés des canons de l’économie traditionnelle.
La particularité, c’est qu’il faut toujours une grande communauté avant de monétiser/rentabiliser un service de mise en relation, et en attendant il faut vivre. Une bonne levée de fonds ne sera pas de trop. Personne ne sera prêt à payer pour publier une petite annonce si tous les annonceurs sont sur le site concurrent (je ne vise personne bien sûr !), et aucun artisan ne perdra son temps à fournir Mon-marché.fr ou LaRucheQuiDitOui s’il n’y a pas du chiffre et des économies d’échelles effectuées derrière.
Les entreprises traditionnelles comprennent de mieux en mieux le phénomène, même si elles réagissent souvent tardivement. Celles qui ont le poids nécessaire investissent largement pour développer des services collaboratifs au sein de leur communauté de clients et sympathisants. (Décathlon, Amazon…). Preuve s’il en est que l’économie collaborative n’est finalement qu’un nouveau pan de notre économie plus qu’un renouveau fondamental.
Critiquons l’économie du partage !
Ce changement ne plait quand même pas à tout le monde. Certaines critiques s’apparentent purement et simplement à du protectionnisme caché ou à des aveux d’échec d’entreprises dépassées par les évènements. On se rappelle de Kodak dépassé par l’avènement des téléphones portables intégrant un appareil photo, ou du groupe Accor ayant souvent perdu le lien avec son client final au profit de booking.com ou hotels.com. C’est pareil ici, mais je ne vise personne bien sûr.
L’uberisation apporte aussi son lot de problèmes, aussi bien sur la philosophie même de l’économie du partage que sur ses effets inhérents : dérives des dirigeants, trous juridiques surexploités, lobbying, concurrence déloyale, pertes d’emplois dans l’économie classique, évolution naturelle vers des monopoles par secteur, prix imposés ou encore transformation de la société en bons petits capitalistes faisant fructifier leurs biens… Mais je ferai pleuvoir les critiques dans mon prochain article.