A l’approche d’une nouvelle assemblée nationale polarisée entre un parti raciste, des libéraux mous et un pôle populaire, on affronte la réaction de la bourgeoisie apeurée par la victoire de la gauche.
Les médias reprennent les analyses teintées de colonialisme à l’encontre des racisés et de l’islam, forcément antisémite, puisque arabes. Les libéraux veulent diviser la gauche en donnant encore plus de gages à l’extrême-droite, en reprenant leurs insultes et leurs idées. Ça ne marchera pas, les votes racistes préféreront toujours l’original à la copie. Rappelez-vous Daladier en 1938.
Ainsi, nous serions antisémites. Une stratégie qui a déjà réussi à mettre Corbyn hors jeu au Royaume-Uni à partir d’un faisceau d’arguments fallacieux et d’une culpabilité collective toujours présente. On retente le coup avec Mélenchon, pour faire plier le nouveau front populaire vers le centre, ou le discréditer complètement.
Et quand je dis « on », il s’agit d’une stratégie pensée par le parti au pouvoir pour diviser la gauche et sauver le coup d’une dissolution orgueilleuse qui peut mener à sa perte.
Une stratégie reprise par l’extrême-droite trop ravie de diaboliser un autre parti quand bien même 10% de leurs candidats ont des casseroles racistes au cul.
Une stratégie reprise par la majorité des médias.
Des médias d’extrême droite ?
Comment expliquer que des médias qui ont suivi la carrière politique de Mélenchon, son engagement contre l’extrême droite foncent dans cet argument ?
La mainmise de Bolloré sur de nombreux médias (Hachette, C-News, JDD, Europe 1…) qui appliquent une propagande d’extrême-droite est évidente. Ils arrivent en plus à éviter les réglementations de l’Arcom et à diffuser des fake news en période électorale sans subir le moindre retour de bâton.
Leur réussite amène de nombreux médias à emboîter le pas maintenant que le fenêtre d’Overton est ouverte. Les éditorialistes habituels, autrefois experts en économie ou en philosophie, viennent dénoncer « l’antisémitisme d’atmosphère » et le « communautarisme électoraliste » de la gauche qui a osé écouter les voix des musulmans. Quand j’étais petit, on se plaignait du JT de TF1. Aujourd’hui, il parait être la voix de la raison par rapport à celui de BFM, chaîne tenue par un ami d’E. Macron. Pourtant, allez critiquer Bouygues sur TF1 pour voir…
Des journalistes de métier, ayant normalement une culture politique, mettent aussi volontairement en avant les divisions de la gauche et le « problème Mélenchon ». En accaparant les discussions sur le sujet ou en cherchant à personnaliser les candidat-es premier-es ministres, ils favorisent aussi l’extrême-droite et discréditent la gauche. Ils minimisent aussi l’aspect extrême du RN. Après tout, le gouvernement de la raison arrive bien à gouverner avec eux depuis 2 ans…
Ces journalistes sont-ils d’extrême droite ? Non. Plus probablement, ils préparent la suite. Plus insidieusement, ils partagent l’idéologie du parti au pouvoir, de ces puissants qu’ils sont censés interviewer sans concession et dont ils se contentent de relayer la parole. La responsabilité est dans les médias d’extrême droite autant que dans le parti au pouvoir qui pose les limites des discours médiatiques.
Un traumatisme civilisationnel
D’autres acteurs foncent dans cette dénonciation de l’antisémitisme de l’extrême gauche. Serge Klarsfeld, autrefois héros de la 2nde guerre mondiale, Caroline Fourest ou Riss, rescapés de Charlie Hebdo.
Et je pense que la défaite idéologique de la gauche se trouve là, dans la culpabilité de la collaboration et dans les traumas du terrorisme islamiste.
Prenons le cas de Riss, histoire d’éviter de critiquer le naufrage d’un vieillard et une mythomane notoire. Survivant d’un attentat contre son journal ouvertement athée, Riss, est devenu militant islamophobe, trouvant que les boulangers musulmans ne proposant pas de sandwich jambon-beurre sont une défaite de la France contre l’islam politique et une intolérable attaque contre la laïcité. Touché dans sa chair par le terrorisme, on peut comprendre. Hélas, son point de vue est relayé quand il énonce que la gauche est « prise en otage » par l’islamogauchisme de LFI sans le moindre argument pour étayer.
La France entière est meurtrie par le terrorisme islamiste, et la résilience collective ne peut advenir miraculeusement avec des médias Bolloré annonçant une guerre civilisationnelle en permanence. Daesch la voulait. L’extrême-droite la veut. Les autres ont tellement peur de la voir advenir ou sont si influencés par la pensée américaine qu’ils sont prêts à en prendre les devants. Or, Le choc des civilisations d’Huntington est moins une analyse qu’une vision politique d’un occident assiégé par des civilisations ennemies… Il inspire les théories d’extrême droite de guerre civilisationnelle, contredisant les réalités d’interdépendances, d’influences et de connexions.
Trahir la (guerre des) civilisations
Les gens autrefois de gauche critiquent violemment LFI, coupable du pire des crimes, trahir notre civilisation.
C’est la rhétorique fasciste de l’ennemi intérieur, déjà utilisée contre les protestants puis les juifs et aujourd’hui les musulmans, mais elle est hélas intériorisée jusque dans une partie de la gauche.
Rappelez-vous en 2019, un militant RN tente d’incendier une mosquée à Bayonne, sur le même modèle qu’à Christchurch. S’attaquer à des civils dans le but de leur faire peur, c’est la définition même du terrorisme. C’est pourtant une attaque d’un déséquilibré qui sera modestement traitée dans les médias. Ce qui fût dénoncé en revanche, c’est la participation de LFI à la marche contre l’islamophobie, prônant une société mixte et le vivre-ensemble. Pour les macronistes, c’était de l’électoralisme. Pour l’extrême-droite, c’était se lier à l’islamisme. D’ailleurs, il y avait certainement dans cette manif un collectif de racisés ou deux qui avait osé critiquer l’Etat ou la colonisation israëlienne…
La guerre à Gaza ravive les tensions et le choc des civilisations supposé.
Pour l’extrême-droite, il suffit de renier son passé antisémite pour s’attaquer aux arabes, cible privilégiée. C’est gros pour un parti créé par des collabos, mais ça passe curieusement bien dans des médias qui n’avaient pas de mémoire non plus pour contextualiser les attentats du 7 octobre.
Pour l’extrême-centre, le soutien à Israël est inconditionnel. Ne pas le faire, ce serait antisémite (pourtant quoi de plus antisémite que d’essentialiser tout juif a un Etat quelle que soit sa politique)
La gauche est plus divisée, mais la ligne anti-raciste dessine un soutien aux Palestiniens contre un gouvernement d’extrême-droite multipliant les crimes de guerre pour se défendre d’une attaque terroriste qu’elle a provoqué par sa politique d’oppression et de colonisation.
C’était la limite à ne pas franchir pour les centristes. En Novembre, ils font le choix de féliciter la présence d’un parti xénophobe à une marche contre l’antisémitisme, et de dénoncer publiquement LFI qui trouve anormal de défiler pour les Juifs aux côtés d’anciens collabos. Pire que cette normalisation, ils vont trouver tous les prétextes possibles pour accuser LFI d’antisémitisme, quand bien même ils n’ont en rien été condamnés sur le sujet, contrairement à de nombreux membres éminents du RN.
Soutenir Israël, c’est combattre l’islam politique du Hamas (ce qui n’est pas entièrement faux pour le Hamas, mais c’est oublier que le gouvernement israëlien a tout fait pour favoriser le Hamas au détriment du Fatah, pour pouvoir plus facilement discréditer son ennemi).
Critiquer un Etat colonial, c’est rejeter un phare occidental dans un monde musulman dangereux. A leurs yeux, c’est trahir l’occident pour l’islam, dont l’islamisme. Il n’y a pas d’autre alternative que la guerre de civilisations.
Ce qu’ils appellent islamo-gauchisme, c’est ça. Chercher à surpasser la guerre de civilisations annoncée et favoriser le vivre-ensemble. C’est ce qui a fait la grandeur de la France, qui a marqué la fraternité dans sa devise et mis en place la sécurité sociale – l’un des systèmes de solidarité les plus ambitieux des pays occidentaux.
Les « patriotes » autoproclamés y voient de la naïveté. Ce même pays fait aujourd’hui la chasse a ses pauvres car ils seraient musulmans et culturellement inassimilables. Ils préfèrent défendre une identité française fantasmée, sans se rendre compte que ce mode de défense pulvérise les valeurs mêmes qu’elle était censée défendre.
Ce qui est horrible, c’est que l’extrême-centre, et donc les médias, partagent totalement cette vision d’une guerre civilisationnelle interne. Sans nuance, ils condamnent l’islamo-gauchisme, sans y voir le lien évident avec le judéo-bolchévisme. Ils craignent la guerre civile, et nourrissent ainsi sa potentialité. Qu’est-ce qui peut donner plus de ressentiment à un jeune musulman français que de voir le pays des droits de l’Homme censé être égalitaire, se contrefoutre des Palestiniens au mépris du droit international alors que ce même pays se parait de la morale et du droit international pour condamner la Russie peu avant ? Ce deux poids, deux mesures est insoutenable et confirme que certains ne sont pas perçus comme des citoyens au même niveau que les autres.
Vouloir vivre ensemble à égalité dans une société multiculturelle est forcément un peu suspicieux, après tout ils vivent différemment. Est-ce qu’ils n’attaqueraient pas un peu notre civilisation ?
Comment espérer autre chose d’un gouvernement qui :
- A demandé une note sur l’immigration à E. Zemmour, condamné plusieurs fois pour incitation à la haine raciale
- Utilise une rhétorique d’extrême-droite, parlant d’immigrationnisme, d’islamo-gauchisme, de décivilisation, de réarmement démographique ou encore de droits de l’hommisme
- Utilise le front républicain pour gagner des votes et condamne l’extrême gauche 2 semaines plus tard
- Met au même niveau les violences physiques de l’extrême droite et les violences matérielles de l’extrême gauche
- A pour ministre Darmanin à l’intérieur, qui trouve l’extrême droite trop molle sur les sujets d’immigration
- A de multiples conflits d’intérêts par sa proximité avec le patronat qui préfère toujours l’extrême-droite que la gauche.
Pour une gauche antiraciste !
La stratégie à gauche pourrait être, comme le veut François Ruffin, d’unir les forces de gauche au plus large. Et s’arrêtant avant Cazeneuve ou Valls qui sont clairement de droite, mais en remisant les propositions les plus radicales pour attirer les voix du centre et être élus.
Je pensais pareil, et conspuais la « purge » de Mélenchon (expression violente inadaptée, puisqu’il s’agit d’une tactique politicienne de merde, pas de mort d’homme ici). C’était d’ailleurs peut-être la seule solution pour réussir un front populaire face à l’extrême droite.
Mais en fait non. Non contente d’arriver trop tard, une alliance de ce genre n’amènerait qu’un nouveau déplacement du centre de gravité vers la gauche molle ou droitière de Glucksmann et Hollande, acceptable par l’extrême-centre. Les problèmes resteraient les mêmes sur l’antiracisme, l’Europe ou l’écologie… Et l’extrême centre ne sera pas plus garant du droit et des normes, il les contourne régulièrement. Bref, une victoire d’un jour qui assure une défaite profonde sur le long terme. Le centre-gauche retournera toujours à ses compromissions plutôt que d’accepter d’intégrer des éléments en dehors du spectre civilisationnel acceptable.
Pour gagner, la gauche doit cesser d’être défensive et affirmer des valeurs fortes pour rassembler. Le vivre-ensemble n’est pas un vain mot, c’est un idéal à marier avec le multiculturalisme. La créolisation n’est pas une invention justifiant l’électoralisme, c’est une manière de faire vivre notre pays et lui permettre d’entremêler et faire cohabiter les cultures. La lutte pour plus de libertés, pour l’écologie, pour une économie de redistribution – ou encore mieux d’égalité de traitement… autant de valeurs à affirmer pour rassembler pour et non pas contre.
Mais Mélenchon est trop vieux et doit laisser les autres faire mieux.
Ruffin passe souvent à côté de l’antiracisme pour tenter de faire société, mais il se leurre sur ses alliés du centre. Bompard, Autain ou Léaument manquent de charisme, Quatenens est grillé, Faure et Tondelier trop au centre… alors qui ?
J’affirme qu’il faut choisir Médine !
Médine premier ministre !
Le rappeur se voyait maire du Havre face à Edouard Philippe, mais il sera encore mieux dans son ancien siège à Matignon. S’il a pu poser avoir des propos problématiques autrefois, il a évolué. Il résiste aux critiques. Écoutez son album Médine France, il illustre parfaitement un vivre ensemble multiculturel. Il sublime les causes chères à la gauche. Il embellit l’identité française.
J’affirme que face à l’extrême droite fascisante, il faut l’enrager et la combattre au corps avec un français musulman plus attaché aux valeurs humanistes de la France que leurs adeptes de la guerre civile.
J’affirme que face à l’extrême centre complaisant avec les fachos et le fantasme décivilisationnel, il faut affirmer son antagonisme avec un symbole de créolisation réussie, attaché à son pays comme à ses origines, engagé contre le racisme sans imposer son mode de vie aux autres.
Il faut se dire fièrement islamo-gauchiste ! Pour le vivre-ensemble et contre le choc des civilisations.
Nous allons peut-être perdre aujourd’hui. Ca laissera des séquelles.
Il faut limiter les dégâts et préparer la suite : la France au rap français. La cancel culture d’extrême-droite et les médias Bolloré n’y pourront rien, Médine est aussi bon paratonnerre que le vieux.
La France doit se créoliser et faire vivre ensemble ses multiples identités rapidement, ou périr à petit feu comme une citadelle assiégée, préférant protéger par la violence une identité fantasmée et sacralisée, condamnée à mourir par un déclin démographique.