Depuis des années, les journaux d’économie et autres médias ne cessent de parler de l’abandon de la télé au profit de Youtube, particulièrement chez les jeunes. S’ajoutent les études marketing vantant les ROI bientôt supérieurs sur Youtube par rapport à la TV. La plateforme de Google qui n’était toujours pas rentable en 2015, ces études tombent étrangement à pic. Youtube est-il seulement ce média en plein essor qu’on nous vend ?
Youtube et un tas de billets avec la tête de Benjamin Franklin, on pouvait difficilement faire plus cliché pour illustrer cet article
Youtube : un réseau social mal utilisé
(oups, ce sous-titre horriblement spoil donne la réponse au titre de l’article)
La stratégie d’Alphabet Inc. (la « nouvelle » entité gérant Google & Youtube) est de définir Youtube comme un média pour pouvoir concurrencer les formidables budgets de la télévision. Soit.
C’est un canal de diffusion médiatique avec des chaines, des vidéos à majorité abrutissantes parmi lesquelles on trouve de belles pépites, des abonnements, des publicités, des contenus payants, des youtubers qui finissent par former des castes sans s’en rendre compte, des publireportages dissimulés par des vidéastes à l’éthique discutable. Bref : ça ressemble beaucoup à la télé ou à la presse.
Coucou Poisson Fécond et sa participation au lobbying pro-OGM
Au delà de ces utilisations habituelles, il ne faut pas oublier que Youtube était un réseau social bien avant Google+. Si si, un réseau social. De contenus. Au même titre que Pinterest ou FlickR pour les images, les sites de vidéos offrent bien des fonctions sociales : profils publics, créations, partages de contenus, commentaires, abonnements, likes etc.
Et selon cette définition, on peut voir que les sites de rencontres sont aussi des réseaux sociaux… mais c’est pas le sujet, revenons à notre plateforme vidéo et arrêtez à tout jamais de dire « sur youtube et les réseaux sociaux », c’en est un, rogntudju !
Plutôt que de trouver des illustrations nulles, j’aurais mieux fait de faire de la pub pour mes vidéastes préférés
Les réseaux de sociabilité
D’abord un peu de théorie marketing en souvenir de mon mémoire, et en accéléré. Il y a 3 formes de réseaux de sociabilité en ligne :
Spécialisation : rassemblement sur un seul réseau autour d’un sujet très spécifique, souvent peu accessible. Exemple : Un forum pour triathlètes. Les pratiquants sont nombreux mais dispersés en France.
Distribution : sociabilité éclatée en plusieurs réseaux mêlant virtuel et IRL sur la bases d’activités communes. Exemple : Un joueur de Fifa jouant en ligne, puis avec des amis puis en discutant sur Facebook.
Polarisation : Plusieurs pratiques différentes, mais conduites par un même acteur qui évangélise sa communauté. Exemple : une chaine Youtube.
Cette image n’utilise pas tout à fait la même chose, mais j’ai trouvé que ça illustrait plutôt bien
La multitude de réseaux sur Youtube
Tout comme sur les pages Facebook, les communautés Youtube sont centrées autour d’un acteur principal (le vidéaste ou partageur de vidéos). Ce ne sont donc que trop rarement des réseaux d’échanges horizontaux (chaque participant quasiment au même niveau, comme un forum par exemple), mais verticaux avec le vidéaste à la tête de sa communauté. Ses interventions et ses règles font référence pour la communauté qui se borne à commenter et parfois s’entraider (ou s’insulter, c’est selon). Le point d’intérêt commun pousse rarement à échanger sur d’autres sujets directement entre eux, et il est souvent complexe d’interagir directement avec un youtubeur à succès, perdu dans une nuée de commentaires (il y a heureusement des exceptions et des vidéastes qui cherchent à casser cette verticalité, mais y parviennent rarement), ou d’avoir un échange vraiment profond avec un autre commentateur.
– Avec ma femme, on s’est rencontré via les commentaires des vidéos de Dirty Biology
– C’est l’épisode sur les pénis et la compétition spermatique qui nous a rapproché !
Puis de toute façon, une bonne majorité des utilisateurs de Youtube se cantonnent aux seuls visionnages. Quelques uns vont jusqu’aux commentaires principaux et commentent eux-mêmes. Très rares sont ceux qui vont jusqu’à produire quelque chose à leur tour. Selon le génial Benjamin Bayart, cela fait partie du cycle d’évolution de l’internaute. Mais comme il le précise lui-même, cela ne touche réellement qu’une minorité impliquée, la masse préférant rester aux premières étapes du cycle.
Le cycle d’évolution des internautes expliqué par Benjamin Bayart… sur Viméo
Je me suis encore égaré sur les usages des internautes eux-mêmes, mais on peut simplement retenir qu’il y a autant de réseaux qu’il y a de chaines influentes, et même ajouter que les Youtubers se connaissent parfois intimement et créent aussi des agrégats de réseaux malgré eux : Les adeptes d’un réseau n’hésitant pas à aller s’opposer au réseau informel d’en face (des fans du Raptor Dissident trashant Dany Caligula, ou des fans de Soral… partout où on se permet de critiquer leur gourou).
Le cul entre 2 chaises
Bref, c’est un réseau vertical. Un réseau social, qu’on utilise encore trop souvent que comme un simple média par mauvaise habitude et/ou par son interface et la stratégie de l’entreprise qui se veut comme tel… peut-être à tort. C’est un peu vieillot, et la télé fait au contraire le pas inverse en tentant vainement de se rendre plus sociale et moins verticale dans quelques émissions se voulant innovantes.
Info importante : lire 4 pauvres tweets sélectionnés censitairement ne rendra pas l’émission plus jeune ou moins orientée politiquement mon cher Pus-Jadis.
Youtube n’est certes pas le réseau social le plus incroyable et innovant. Je pense même que les forums, blogs et sites spécialisés étaient (et sont encore parfois) bien + riches pour l’internaute que les réseaux sociaux géants qui ne créent que rarement des émulations intellectuelles avec des personnes réellement extérieures à ses cercles de confort. Adieu la sérendipité sociale (ça se dit ça ?)
…excepté SensCritique <3 <3 … hum je me suis laissé allé. Enfin bref, c’est bien.
Si Youtube a sa stratégie pour devenir un média et même plus qu’un média, le podcast peut encore grandement évoluer et Google commence à prendre en compte ce potentiel social. La firme a lancé Community et espère ainsi se relancer sur le créneau social après l’échec relatif de Google +.
Beaucoup de vidéastes se sont largement professionnalisés et ont envisagé Youtube comme un moyen de gagner de l’argent et d’accéder à la réussite dès le départ. Ils sont sur le modèle des médias traditionnels et verticaux et ne demandent qu’à être invités à la télé, à participer à des films et soignent une image très lisse pour attirer le public le plus large, le plus consensuel… et souvent le plus vide (ce qui me rappelle cette bonne parodie de face à face Soral / Norman, s’amusant de la vacuité de ce dernier) Toutes les chaines Youtube grandissantes ont le risque de tomber dans les mêmes tares que les médias traditionnels, sans parler de ceux qui se sont déjà vendus à Webédia pour un paquet de billets.
D’autres, comme Benjamin Bayart toujours, voient ça comme une phase de transition. Une simple survivance de l’ancien monde, qui devrait s’atténuer ou s’écrouler avec le temps. Certains vidéastes, pourtant enfants de la télé, se voient déjà comme des produits d’internet avec un discours intelligent et cohérent sur leur travail et leur condition. Un espoir pour bâtir un avenir différent à Youtube.
La conférence complète de 2h30 pour les courageux. C’est long, mais c’est passionnant.
votre article est très intéressant et très pertinent . merci