Les Vikings ont toujours fasciné. On les retrouve à Hollywood (série Viking, Thor…), dans les mangas (One Piece, Vinland…), et bien sûr dans l’imaginaire européen : de virils guerriers blonds ayant conquis l’Europe et découvert l’Amérique… de quoi faire fantasmer l’extrême droite.
Le livre Au temps des Vikings d’Anders Winroth fait le point sur les réalités du monde viking et de ses relations avec ses voisins entre 800 et 1100. Avec de grandes qualités narratives.
Hordes violentes ? Grands découvreurs ? Marchands ? Ou un peu tout ça à la fois. Tenter de faire une histoire viking est compliqué, mais une histoire au temps des Vikings est réalisable et bien réalisée.
Qui sont les Vikings ?
Les Vikings ne sont pas un peuple, c’est une fonction. Chez les Norrois, qu’ils viennent de l’actuel Danemark, de la Suède ou d’ailleurs, être Viking, c’est voyager, participer à des raids en bateau ou faire du commerce.
Les Vikings n’ont pas de « drakkars », mais des knarrs (ou knörrs), mais aussi bien d’autres types de bateaux selon le besoin de naviguer sur fleuve, en mer fermée ou en plein océan.
Les Vikings sont organisés en petites chefferies concurrentes, ou chaque chef possède sa grande halle, ses armes. Certains deviennent rois de fait par la conquête.
Mais reprenons les grands éléments de l’auteur :

Les Vikings, guerriers violents ou marchands ?
Certes, ils étaient capables d’organiser des raids en rassemblant plusieurs chefs et ainsi avoir une petite armée improvisée avec plus d’une centaine de bateaux. Ils ont été capables de piller de « grandes » villes de l’époque comme Nantes ou Paris (même si l’époque n’est pas vraiment aux grandes villes). Surtout grâce à leur rapidité et l’absence d’État suffisamment fort et réactif. Les violences semblent cependant mesurées, surtout si l’on compare aux conquêtes religieuses de Charlemagne à la même période. Les meurtres ne sont ici pas gratuits. Les sources chrétiennes biaisent cette vision des cruels païens, et les chefs norrois eux-mêmes ont nourris cette image. La peur est une arme. Les guerriers vikings sont appelés comme mercenaires jusqu’à Constantinople. Les raids vikings sont violents et nombreux, y compris entre eux, mais dans le but de s’enrichir avant tout. Beaucoup des victimes des attaques vikings sont aussi arrêtées contre rançon, ou mises en esclavage pour être revendues.
Les Vikings sont donc aussi et surtout des marchands. L’un n’empêche pas l’autre. Ils commercent énormément avec l’Europe de l’Ouest comme de l’Est, avec le monde arabe et byzantin. Ils vendent beaucoup de produits nordiques vus comme des objets de luxe ailleurs (ivoire, fourrures…). Au départ, ils achètent surtout des produits de luxe rare (noix, armes…). Ils vendent plus qu’ils n’achètent. On retrouve de nombreux trésors de pièces anglaises, franques ou byzantines dans les ruines des ports norrois. Amusant, les pièces elles-mêmes n’ont pas d’intérêt pour les Scandinaves qui n’utilisent pas de monnaie. C’est leur poids en argent qui compte.
Progressivement se développe un commerce de gros (poisson, bois…), plus local. En parallèle, les Etats se renforcent et marquent aussi la fin des chefs vikings au profit de royaumes et Etats forts.
Cependant, il est difficile de savoir ce qui est pillé de ce qui est commercé. Les deux coexistent.

Des Vikings voyageurs et émigrants
Les Vikings sont aussi des voyageurs. A la tête de troupes armées, ils ont pu conquérir puis s’installer sur des territoires européens : l’Irlande, la Frise (Pays-Bas), la Normandie, l’Islande, la Russie ou l’Ukraine. Grâce à leurs raids rapides et leur force militaires, face à des Etats défaillants, ils dominent le territoire de fait et sont parfois ensuite reconnus comme roi ou comte.
Ils se sont aussi installés temporairement jusqu’au Groënland (à peine 2000 habitants) et de là, certains ont découvert le mythique Vinland, probablement le Labrador au Canada où l’on trouve des vignes, des fruits et du bois à profusion (mais aussi de dangereux indigènes). Cassez encore l’image du guerrier sanguinaire violant les locales pour imposer son pédigrée. Cela a pu arriver, mais en général les Vikings émigrent avec femmes et enfants.
Culture Viking ou norroise ?
Ah, l’histoire Viking nous est connue par les grandes saga nordiques, chefs d’œuvre de la littérature viking… Bon en fait non. C’est encore un cliché erroné, comme les casques à cornes.

Les sagas sont postérieures, ce n’est pas une source historique fiable. Mais elles s’inspirent (ou repompent allégrement) les poèmes scaldiques.
Le Norrois est une langue parlée (les Islandais ont, parait-il, une langue encore proche du vieux norrois), mais parfois écrite. Le système de runes est un lointain cousin inspiré de l’alphabet latin et a donné de très belles pierres. La majorité des textes, sur bois, est perdue. Quelques scaldes, les poèmes scandinaves médiévaux, nous sont parvenus. Difficiles à traduire et à apprécier, ils jouent beaucoup sur des jeux d’allitération et de rythmique. Ils adorent les périphrases (kenning) et les litotes. On trouve un peu d’art visuel sur pierre racontant les légendes scandinaves, mais une grande partie des arts est perdue : plus de trace de musique, seulement quelques rares bijoux et tissus rappellent l’existence d’arts décoratifs et joaillers.
Anders Winroth s’attarde peu sur les subalternes et la société scandinave. Le monde paysan semble ressembler au reste de l’Europe à la même époque (jachères, élevage, céréales…), avec quelques retards, pas seulement dus au climat : les femmes plus invisibilisées qu’ailleurs, araires en pierre plutôt qu’en métal, maladies et famines présentes… Une pauvreté et des difficultés qui ont pu pousser les moins fortunés à tenter leur chance dans des raids auprès d’un chef généreux…

Le passage de chef à roi se fait progressivement. Il s’appuie souvent sur le pouvoir le plus pérenne de l’époque : la religion.
Les Vikings étaient tout d’abord païens. Ils faisaient des sacrifices pour Thor, Odin et Frey (une triade de dieux dans la pure tradition indo-européenne selon G. Dumézil)… et bien d’autres. Certains lieux étaient sacrés, mais il est probable que les sacrifices puissent avoir lieu un peu partout, y compris par des femmes. Des bois étaient certainement sacrés vu l’importance des arbres dans les mythes nordiques, mais l’auteur n’en parle pas du tout. Malheureusement, le polythéisme scandinave nous est surtout connu par des sources tardives avec une vision chrétienne, ce qui biaise notre connaissance. Par exemple, Snorri Sturluson met par écrit des légendes scandinaves en Islande au XIIe siècle dans l’Edda (très beau livre d’ailleurs), mais les transforme parfois, volontairement ou non.
Les chefs adoptent progressivement la religion chrétienne. Certains trouvent des soutiens auprès de rois chrétiens (Francs, Allemands, Byzantins). Le christianisme donne accès à des réseaux de pouvoir qui les renforce. Les missionnaires restent proches des chefs, puis se voient progressivement confier des évêchés. L’évangélisation semble cependant compliquée, mais progressivement, le symbole de la croix rejoint le marteau de Thor. Quelques chefs et lieux éloignés continuent à faire vivre le polythéisme viking », mais peu à peu, la religion des Ases est abandonnée pour la seule croix. La Scandinavie rentre dans l’histoire européenne, avec ses châteaux-forts, ses rois tirant revenus des impôts plutôt que des raids guerriers. L’histoire Viking rentre dans la légende et est alors sujette aux réinterprétations artistiques, de Wagner à Oda.