Pour mon premier atelier d’écriture, je devais explorer la thème de la technofiction, sous forme de 4 petits travaux qui se suivent pour installer un univers… J’ai choisi les implants mémoriels. Une vieille idée d’avant Black Mirror (et qui se concrétise à son échelle avec l’IA). J’aime bien mon début mais pas la fin.
10 mai 2039
Voilà trois ans que ma femme s’est fait posé son implant. Très vite elle a été séduite. Moi moins, je préfère le naturel.
Impossible désormais de jouer au Trivial Pursuit sans se faire ratatiner misérablement par son cerveau dopé par trois cent terras de mémoire complémentaire. Stockée dans une simple puce au niveau de la nuque, et pour un prix étonnamment modéré, son incroyable mémoire lui permet désormais de retenir toutes les phrases blessantes que j’aurais pu lui dire, les recettes d’Ottolenghi ou d’Escoffier sans effort, et d’obtenir plusieurs promotions dans son emploi de docteure, désormais spécialiste en tout. Imaginez si la puce était connectée !
Autant dire que Clarisse ne fut pas la seule et que beaucoup l’ont suivi. La French Tech s’est appuyée sur un fabricant américain. Mes compatriotes se sont équipés plus vite que pour l’apparition de la brosse à dents. Hormis une interdiction de jouer au BlackJack dans les casinos et une grève des profs d’histoire devenus obsolètes, peu de problème ont entaché sa diffusion. La puce se met même à jour chaque semaine.
Etant peu tenté par le transhumanisme, je n’ai pas suivi le mouvement… Tant pis si je perd toujours mes clefs et si je ne brille pas en société, mon corps restera sans implant ni tatouage.
Le mois dernier, nous avions un débat sur les pollutions générées par le secteur informatique quand Clarisse m’a affirmé que je me trompais, puisqu’elle n’en avait aucune trace dans sa mémoire. Les gaz à effet de serre émis par l’entreprise Omega sont bien inférieurs à mes estimations… J’étais pourtant sûr de moi.
La semaine suivante, aucune trace non plus de l’accident d’une mine de coltan, métal rare nécessaire aux implants mémoriels. J’ai dû me tromper… Je décidais de prendre des notes dans un carnet, à l’insu de Clarisse.
5 novembre 2048
Edition spéciale de Matthieu B.*
M. Omagton, patron du groupe Omega Inc® a été élu haut la main avec plus de 82% des voix en France. Un résultat que l’on trouverait digne des dictatures bananières, si seulement quelqu’un se souvenait de la comparaison, sans y voir le spectre du dangereux communisme arriéré que leur dicte leur implant.
A vous lecteurs qui choisissez de continuer la presse écrite dans une époque du tout technologique, bravo ! Ne vous laissez pas étouffer par les accusations de complotisme des techno-adeptes. Ce n’est pas notre mémoire qui vacille mais la leur qui est surconnectée à des données viciées.
Omega ne souffre aucune concurrence. Les vertus du monopole ont bon dos. L’entreprise a placé une demi-douzaine de dictateurs dans le monde, et son chef s’est offert la France. A croire qu’il a des projets particuliers pour l’hexagone. Le pays des grenouilles s’est transformé en troupeau de moutons abreuvé de fake news.
Les centres de données pullulent. Les puces électroniques sont produites plus rapidement que les puces naturelles ne se reproduisent. Les mines de coltran saignent la terre autant que leurs ouvriers. Le smog recouvrant toutes les métropoles n’est pas là depuis 250 ans comme ils le prétendent. Déjà cinq ans que les bienfaits de notre président-milliardaire ont transformé notre ciel…
Résistons ensemble pour la démocratie et pour l’humanité !
*reporter spécial dans les territoires perdus au transhumanisme