Première tentative de fiction écrite il y a 5 ans. Avec tous les défauts de celui qui veut en faire trop d’un coup sans maitriser le rythme. Une ville morne, vraiment ?
1 – Micropolis sous Seine
Le quartier des affaires de Micropolis offre un panorama extraordinaire durant les soirées de ce mois de juillet. Pas vraiment en raison de l’architecture originale de ses immeubles. Hormis le centre commercial luxueux, la majorité des bâtiments semblent bien ordinaires. Des tours de verre et de béton, caractéristiques du manque d’âme inhérent au monde des affaires, se succèdent monotones en laissant une impression de déjà-vu. Non, c’est plutôt la crue du fleuve qui a envahi les rues depuis plusieurs jours qui attire le regard. Les eaux sont sales mais apaisées. Les buildings semblent s’étirer sans fin vers le ciel et le sol, flottant fièrement dans un entre-deux mal défini. Curieusement, l’inondation n’a pas poussé les grandes compagnies à éteindre leurs immeubles. Ce gaspillage volontaire magnifie la vue et, par un heureux hasard, la visibilité de leurs marques. Succès total. La skyline habituelle fait pâle figure face aux lumières nouvelles de la riverline.
Sur le pont Hayek menant aux abords du CBD, les automobiles ralentissent pour immortaliser le paysage, et indirectement, les embouteillages eux-mêmes. Les trottoirs ne drainent plus les travailleurs vers leurs bureaux, mais les badauds et journalistes en quête de photos spectaculaires qui garniront les réseaux sociaux et la gazette de la ville. La perte de travail des uns fait les affaires des autres. Depuis plus de deux semaines, les employés ont dû migrer vers des bureaux de fortune à domicile ou simplement arrêter de travailler. C’est le cas de Jean de Cervi, employé du 46ème étage de la tour Ombres, chez Maxis Consulting. Son entreprise ne s’en relèvera peut-être pas. Il s’inquiète. Si la boîte coule avec l’immeuble, comment subvenir aux besoin de sa femme et de leurs deux enfants ?
Jeune quarantenaire sans histoire, Cervi et sa famille habitent un pavillon à 45 minutes en voiture (dont 25 de bouchon) du terrain des inondations, dans le récent quartier du Faubourg. Les évènements l’ont moins affecté qu’il ne l’imaginait. Il a bien sûr le petit contentement du matin de ne plus avoir à prendre sa voiture grise sous le ciel grisâtre, pour se rendre dans une tour de fer et de béton. Quel dommage de ne plus retrouver Chantal racontant son passionnant weekend au Center Parks avec son haleine fétide et un ersatz d’enthousiasme dissimulant la morosité du quotidien !
Pourtant, la joie s’est vite estompée. Pas facile de se concentrer en travaillant chez soi, et encore plus sans voir les employés zélés s’épuiser à la tâche autour de soi. Jean a de la chance, sa femme continue à travailler dans une pharmacie, et ses enfants sont à l’école durant la journée. Le fleuve n’a pas changé leur quotidien, seulement le sien. Il faut travailler sur ordinateur malgré les heures de vidéo, de jeux et de musique et autres activités offrant un plaisir immédiat à portée de clic. S’il travaille efficacement 2 heures par jour, c’est un miracle. Bientôt, il en viendrait à regretter les blagues salaces d’Olivier et les commérages de Léa… Et même leur haleine de café !
Enfin non, quand même pas.
16h… il arrête sa vidéo humoristique. Son supérieur lui a envoyé un message instantané pour renforcer sa motivation, et au passage vérifier qu’il travaille réellement. Jean donne le change et coupe son ordinateur. Il a juste le temps d’aller faire les courses avant que le bus scolaire dépose les enfants. Il y aura encore du travail demain, de toute manière.
Sur le chemin du supermarché , l’autoradio est resté muet. Jean est plongé dans ses pensées. Il se félicite de son arrivée à Micropolis il y a 12 ans. La ville comptait alors seulement 80 000 habitants, mais l’implantation nouvelle d’un quartier d’affaires en faisait The place to be !
Il y a fait carrière. Il y a rencontré Hélène. Ensemble ils ont eu 2 beaux enfants. Tout va bien.
Bon, ça n’a pas toujours été si facile. Rien que sa rencontre avec Hélène par exemple n’était pas sous les meilleures augures. La moitié de la ville subissait alors une épidémie de diphtérie. On sut que l’eau du robinet n’était plus potable, sans en savoir l’origine. Il fallut plus de 3 mois d’eau contaminée pour que les autorités publiques comprennent l’origine du sinistre – une simple erreur dans le tracé des canalisations. Durant cette période nauséabonde à tous points de nez, il y eut quelques décès, mais surtout énormément de clients dans les pharmacies. Jean était de ceux-là. Enfin pas tout à fait. Il venait pour soigner une hypothermie après avoir passé trop de temps dans une piscine. Un problème d’échelle tout à fait absurde qui a permis à Hélène de sortir la tête de l’eau.
Tout cela semble loin tandis qu’il se gare sur le large parking du Walmart. Les canalisations ont été réparées n’ont plus jamais causé d’ennui depuis. Tout juste quelques longues coupures d’électricité, à l’origine de pics de naissance neuf mois plus tard dans toute la ville. Tandis qu’un employé au regard vide d’ennui range ses courses à sa place, l’esprit de Jean vagabonde… leurs deux enfants de 6 et 2 ans faisaient-ils partie de cette anomalie statistique ou non ? Probablement.
L’aîné est déjà à l’école primaire. Dans le public, le couple y met un point d’honneur ! Il faut dire que la ville offrait des grandes facilités aux familles pour s’y installer. Avantages fiscaux, grand parc sur la colline proche, nombreux petits squares, écoles publiques de qualité… plus surprenants étaient la présence d’un musée dédié aux arts électroniques, et même d’un zoo à moins de 3km de là. Jean remarque une nouvelle statue sur la droite de la route. Super Mario en granit, haut de 7m sur un grand piédestal au milieu d’une placette mignonne. La plaque indique un hommage aux bienfaits du maire. C’est fou, comment cela a-t-il pu être construit si vite ? Deux semaines plus tôt encore, n’était-ce pas un ancien immeuble d’habitations à l’abandon ? Il pensa qu’il devrait être plus dans le moment présent et faire attention au monde qu’il l’entoure. Manifestement, les travaux avaient bien avancé et il n’avait rien remarqué. Le maire s’autocongratule, mais il est quand même très rapide. Et quelle statue ! Ça devrait faire plaisir aux enfants. Et aux propriétaires du quartier dont la valeur de leur maison montait en flèche !
« Je passerai bien faire un tour avec les enfants à leur sortie d’école, se dit le jeune père de famille. Je suis un peu à l’avance… juste ce qu’il faut pour m’en fumer une petite avant qu’ils sortent ».
En tirant sa première bouffée de cancer au milieu des regards désapprobateurs des jeunes mamans qui attendent, il pense à la vitesse avec laquelle la municipalité réagit. Vraiment, la ville avait tout fait pour attirer les familles aisées rapidement, jusqu’à détruire les usines historiques du centre-ville. Micropolis n’aurait jamais connu d’essor sans elles, mais l’heure était aux pavillons et aux immeubles de bureaux, pas aux pollueurs ni aux prolétaires. Un nouveau centre industriel moderne a été construit juste après aux périphéries de la ville, là où le bruit et les odeurs de fumée ne dérangeront pas les braves contribuables. Les habitants des quartiers trop sensibles du centre-ville suivront. C’est ce qu’a fait son cousin d’ailleurs. Ouvrier non-spécialisé, il avait gravi rapidement les échelons dans son usine, jusqu’à devenir contremaître de l’ensemble des installations industrielles d’un gros consortium. Après le « plan de revitalisation du quartier » qui avait mis à la rue des centaines d’ouvriers, et forcé le déplacement de leur lieu de travail à plus d’une heure de route pour des centaines d’autres, il a vite fait le choix, optant au passage pour une maison – pavillonnaire elle-aussi – dans un nouveau quartier des environs. Enfin… tout ça c’était avant le drame. Sa femme est morte électrocutée en tentant de réparer le lave-vaisselle. Le pauvre homme ne s’en est jamais remis, et on le retrouva mort dans sa piscine très peu de temps après. La police a conclu à un suicide, mais le constructeur a aussi été mis en tort pour un défaut de conception. Encore un problème d’échelle. Quelle absurdité ! Le pisciniste a fait valoir que la construction était bien conforme, photos à l’appui et qu’il n’était pas responsable des changements opérés par le client… Bref, de sombres histoires de sous qui ont retardé les dédommagements.
Même s’il n’était pas très proche de son cousin, la mort prématurée de membres de la famille n’est pas non plus un sujet heureux. C’est avec amertume qu’il jette et écrase son mégot par terre, sous l’œil toujours plus dégoûté des jeunes mères autour. Au moins, le quartier était maintenant bien famé pour lui, sa famille et tous ces croquant-es.
2 – Chaos
Les enfants sortaient en rang de l’école quand le premier évènement survint. Un bruit sourd. Une fumée suivit rapidement, son panache gris annonce un incendie d’ampleur à seulement une rue de là. Jean de Cervi prit ses enfants par la main et courut jusqu’à la voiture. Il les attachait à leur ceinture lorsqu’il entendit les camions de pompier en route pour l’intervention. L’odeur de matières plastiques calcinées lui brûla la gorge. Il s’enferma dans la voiture et mit la clef au contact pour pouvoir allumer l’air conditionné. C’est alors que le deuxième événement arriva. L’école disparut. D’un coup, pouf ! Ou plutôt braoum ! Le bâtiment était là puis la seconde qui suit, il n’y avait plus qu’un tas de gravas.
La panique est totale. Les parents apeurés accourent vers leur progéniture en piétinant celle des autres. Les cris fusent, mêlés aux sirènes de pompiers et aux bruits de bâtiments qui s’écroulent sur fond de brasier crépitant. La file indienne d’une classe qui quittait l’école a été coupée en son milieu ; les mauvais élèves, toujours premiers à vouloir sortir sont indemnes et secourus par leurs parents. Les petits fayots à l’arrière ne font plus qu’un avec la pierre fondatrice de leur école, probablement écrasés avec leur instituteur. Dictées et divisions pour l’éternité… pauvres enfants.
Jean quitte ses réflexions morbides et son abasourdissement. Il est au volant. Pas la peine de démarrer, la sortie est déjà bloquée. Autant se tourner vers les enfants et leur murmurer quelques paroles de réconfort. Leur maison ne va jamais s’écrouler à eux, Elle a résisté aux inondations. Et puis il y a un abris anti-atomique remplis de conserves dessous, juste au cas où les zombies attaqueraient (il avait beaucoup trop regardé Walking Dead). Les enfants sont sous le choc. Ne pas retourner à l’école aurait pu les mettre en joie dans d’autres circonstances… Jean continuait son monologue plus rassurant pour lui que pour ses enfants, lorsqu’il entendit un grand bruit à nouveau dans son dos. Pas un bruit de panique ou d’éboulement cette fois… juste un énorme « ploc ». Un son idiot sans aucun sens. Le temps de reprendre son poste au volant, le tas de gravas a disparu, laissant place à un terrain lisse et net. Incroyable. Les « braoum » des éboulements et les « ploc » des nettoyages de gravats résonnent et s’éloignent dans le lointain, transformant tout le paysage de la ville comme un bulldozer invisible et instantané.
Jean tremble de tous ses membres. A quelques mètres près, lui et ses enfants étaient aussi terraformés . Du calme, du calme, du calme ! Vite, démarrer, et rentrer dans notre abri. Il cale. Bordel, calme-toi ! Penser aux enfants derrière et avoir l’air serein. Où est Hélène ? Foncer vers sa pharmacie, puis à la maison. Il démarre normalement cette fois, et passe sur le trottoir, effrayant deux mères de famille qui le regardaient mal pour sa cigarette tout à l’heure et le fixent à nouveau d’un regard assassin pour avoir failli écraser leurs petites têtes blondes. Les façades de maison défilent. Certaines ont disparu, d’autres sont en feu. La statue de Mario n’est plus. Il commence à croire qu’il est en train de rêver, quand un tronçon de route devant lui disparaît à son tour. Il freine net ; la voiture dévie et s’encastre à moitié dans un lampadaire au bord de la route.
Quelques secondes après le choc, il se remet. L’accident n’est pas trop grave, Dieu merci, ils avaient leur ceinture ! Jean sort en trombe pour leur ouvrir depuis l’extérieur. Prenant le plus petit dans ses bras et l’autre par la main, il abandonne le véhicule et part en titubant vers une place de sûreté. Dans son esprit paniqué, un terrain sans construction humaine lui semble malgré tout le plus sûr. Idéalement en hauteur pour éviter les débris et pouvoir se rendre compte de l’ampleur de la catastrophe dans la ville… Le parc !
Il avance vers le parc en portant son fils pleurant dans ses bras. Il ne peut pas aller très vite avec les petites jambes de l’aîné, mais ils font de leur mieux. Jean essaye de trouver des paroles apaisantes. La vérité, c’est qu’il a encore plus peur qu’eux. Rien ne fait sens. Pourvu qu’Hélène soit à l’abri ! Il ne peut plus la rejoindre maintenant. D’autres réfugiés de fortune ont eu la même idée et grimpent la colline, focalisés sur la survie de leur famille. Quelques maisons disparaissent encore, mais cela semble plus lointain. Le vent s’est levé et porte l’odeur d’incendie jusqu’à eux. On croirait une tornade !
Quelques centaines de mètres avant belvédère du parc, Jean dépose le plus jeune fils sur un banc, s’essuie la sueur dans les yeux… plus cligne à nouveau sans croire ce qu’il voit. Les dégâts sont bien plus élevés qu’il ne pouvait l’imaginer. Un bulldozer semble avoir traversé en ligne droite plusieurs quartiers de la ville. Seuls quelques débris et un pylône de béton du pont Hayek sont encore visibles, et la moitié des immeubles du quartier des affaires a disparu, noyés dans les eaux grises. La tour Maxis n’est plus… Adieu les pauses cafés avec Chantal ! Le quartier où travaille Hélène semble avoir été épargné. Ouf ! Le soulagement l’emporte haut la main.
Alors qu’il scrute le lointain aux côtés de son fils aîné, la terre semble trembler et le vente redouble. Un séisme en plus ? Comme si on avait besoin de ça… Les cris redoublent autour de lui. Il se retourne, et tombe nez à nez avec un dinosaure géant. Comment a t-il pu apparaître au milieu du parc ? C’est un cauchemar absurde ! Ou une interprétation ratée de l’Apocalypse de Saint-Jean, ce n’est pas possible.
Pas le temps d’y réfléchir, la bête s’avance vers lui, piétinant arbres, guérites et kiosques au sein du parc. Jean court en sa direction, en pensant uniquement à son fils laissé sur un banc près des pattes du monstre….
Trop tard. Le banc n’est plus qu’une œuvre d’art contemporain maculée de sang. Jean tombe à genoux en pleurs. Le monde autour de lui n’existe plus. L’espèce de Godzilla s’approche et va bientôt l’écraser à son tour… Mu par l’instinct, Jean reprend conscience et évite la patte griffue qui s’abattait sur lui d’une roulade. Il lui reste un fils, il ne peut pas l’abandonner !
Bousculé par la foule fuyant, il atteint le belvédère et son fils en position fœtale sous la table d’orientation. Il le serre dans ses bras. S’il était plus concentré sur le paysage, il pourrait observer une véritable tornade ravageant les environs de sa maison. Juste la survie de lui et de l’enfant dans ses bras. Par chance, Godzilla ne semble pas intéressé par le panorama lui non plus, et est parti à l’est du parc, probablement pour piétiner les cours de tennis et les villas luxueuses en contrebas. Jean et son fils se remettent peu à peu, et entament la descente pour rejoindre Hélène dans l’un des rares quartiers toujours épargné. Quelques dizaines de minutes plus tard, ils arrivent enfin à la pharmacie. Hélène travaille encore dans le chaos. Elle aperçoit son mari et un seul enfant. Elle comprend instantanément la disparition de leur fils. Son cœur se serre, les larmes lui montent. Jean est éclairé d’une bouffée d’espérance en la voyant s’approcher vers lui, aussitôt éclipsée par la peine de voir l’esprit de sa femme brisé par la perte de leur fils. Les lambeaux de la famille se retrouvent. Les émotions les submergent lorsqu’ils s’étreignent enfin. Un instant passe.
C’est alors qu’une ombre les recouvre, ainsi que l’ensemble du pâté de maisons. Une soucoupe volante est apparue. Elle survole ce quartier immaculé et y étend sa masse métallique au dessus de tous ses habitants. Jean lève les yeux, abattu par l’écrasante masse du vaisseau alien. C’est une plaisanterie stupide. Un iris métallique s’ouvre sur une cavité lumineuse au centre de l’aéronef. Jean reste bouchée bée. Un éclair lumineux jaillit. Les Cervi sont pulvérisés, avec tout le quartier.
3 – Epilogue
Louis ferme l’écran de son ordinateur. Il est 3h du matin, sa chambre sent le renfermé, mais il est plus que l’heure d’aller dormir. Dehors, pas un bruit, la ville est calme.
Il se remémore le dinosaure et les aliens envahissant ce qui reste de Micropolis qui ne soit pas inondé ni en feu. Un vide l’envahit. Il faut dormir.
Après avoir passé des heures à concevoir les plans de chaque quartier, avoir organisé patiemment les réseaux de transports en commun, géré les circuits de canalisations, équilibré les impôts, construit les bâtiments spéciaux et fait croître Micropolis à plus de 2 millions d’âmes dont ses propres Sims, il en a eu assez. Et comme à chaque fois, il a fini par détruire son œuvre. Dans un mélange de joie cruelle et de flegme.
Construire une ville virtuelle, c’est amusant au début. Puis ça dure. Puis il est déjà 1h du matin et on veut à tout prix installer cette autoroute mais qui nécessite de détruire tout un quartier. Puis il est 2h30, on a tout réorganisé, et il faudrait raser les taudis et fluidifier les transports une fois de plus… Flemme. Demain, il aimerait se lever avant 11h pour une fois. D’abord, il commençait à s’ennuyer.
Quoi de plus jouissif alors que de tout faire détruire dans un déluge commandé par ses soins et sans conséquences réelles ?