Après mes essais d’ateliers d’écriture avec Rémanence des mots qui m’ont emmené chez les Vikings ou dans les implants mémoriels, j’ai testé un atelier dans une bibliothèque parisienne avec Léo Henry du collectif Zanzibar, un auteur très sympathique. Cette pléiade d’auteurs de science-fiction contemporaine partage son amour des littératures de l’imaginaire en créant par exemple des protokools d’écriture, dont celui-ci. Rigolo. Dommage qu’ils ne proposent pas des ateliers réguliers…
I – Un atelier d’écriture collaborative
Une caravelle sidérale quitte le système Terre en emporter uniquement l’essentiel. Premier exercice, nous devons chacun définir 3 objets à caler dans ce vaisseau :
- Un objet pour se souvenir de la Terre
- Quelque chose d’utile pour le voyage
- Un truc pour l’arrivée
Chaque membre de l’atelier propose son triptyque, on supprime les doublons puis on range le tout dans des soutes thématiques.
Voici nos soutes (en bleu, mes propositions) :
Soute 1 : La Boulangerie
La pièce rassemble une imprimante 3D pour s’imprimer des repas, mais aussi de la farine et du levain pour faire son pain maison. Indispensable si la caravelle embarque des Français.
Soute 2 : Le Palais de la Découverte
On trouve ici la mémoire de l’humanité : bibliothèque de livres et d’odeurs, herbier, mais aussi des objets de bien-être et de nostalgie : photo de chat, berceau, bouteille de sable…
Soute 3 : La Biosphère
Mix entre un jardin et une ménagerie, cette soute renferme des rivières entières, des arbres fruitiers et des abeilles. Une oasis dans un monde de métal.
Soute 4 : Survie
Plus attendue, cette cale renferme les objets indispensables à la survie d’une humanité en migration interstellaire : gourdes, couteaux-suisses, pharmacie…
Soute 5 : Dernier Recours
Cette zone fermée recèle des fléaux de l’humanité dont elle aimerait ne pas faire usage : des armes nucléaires « au cas où » et un électro-banjo, instrument improbable que nous n’avons pas su classer ailleurs et se retrouve donc au rang des armes de guerre.
Hors soute : Les Compagnons
Plusieurs membres de l’expédition ont souhaité être accompagnés. C’est vrai qu’un voyage à durée indéterminée dans l’espace, ça pourrait donner un sentiment de solitude. Le chat Tempête va donc pouvoir s’amuser avec un robot humanoïde au service du vaisseau ainsi que d’un couple d’autruches.
II – Le voyage interstellaire
Toujours de manière collaborative, chaque membre de l’atelier est invité à écrire une histoire se déroulant durant le voyage en un minimum de phrases, avec le point de vue de la caravelle elle-même (une entité intelligente donc !). La difficulté, c’est que nous n’avons pas vraiment de personnage.
Durant les premiers jours, certain-es ont exploré les doutes du vaisseau, la nostalgie des humains dans leurs souvenirs. Mais ce sont surtout les mésaventures des Compagnons durant l’ennui d’un long voyage qui ont passionné : naissance d’autruchons, bagarres avec le robot, dévoration d’une boite anxiolytiques par erreur…
La caravelle galactique a aussi fait face à ses premières avaries, les rivières créant des fuites d’eau, ou les ogives nucléaires laissant tomber du plutonium créant des conflits entre humains. Les lois de la physique ont commencé à se déformer après 10 ans de périple. Vient ensuite mon texte :
Jour 4132, soute du Dernier Recours.
L’homme de veille joue encore du banjo électronique. Mes circuits ignorent s’il a perdu la raison ou si l’humanité a simplement oublié le bon goût sur Terre avant de partir. Pourquoi diable mes concepteurs m’ont-il doté d’une sensibilité auditive ? Je n’en peux plus… J’hésite à utiliser une ogive pour arrêter le supplice.
III – Arrivée et déchargement
Fin du collaboratif. Chacun propose ici une fin à ce voyage, avec le point de vue des autochtones voyant les humains décharger l’une des soutes. Pour certains, la caravelle interstellaire se perd à jamais, découvre un monde vide ou habité par des roches pensantes. Toujours inspiré par l’absurdité de certains objets en soute durant plus d’une décennie, je propose ma version :
Les bipèdes venus du ciel semblent vouloir s’installer chez nous, dirigés par un petit quadrupède poilu, que tout le monde caresse en hommage dès qu’ils le voient passer. Lorsqu’ils déchargeaient leurs livres et leurs étranges flacons d’odeurs, on s’est dit que ça allait sentir un peu, mais qu’on s’y ferait. Les aléas du voisinage.
Mais l’un d’entre-eux produit désormais des sons ignobles avec un objet démoniaque depuis huit jours… Si ce n’est pas une déclaration de guerre, qu’est-ce-que c’est ? Nous attaquerons demain.